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MADAME ROLAND

À la fin de l’année 1779 Roland est vaincu, conquis, prêt à capituler. Durant les libres et longs entretiens de tous les jours, il n’a plus été aussi souvent question de sa fameuse austérité, et la jeune fille qui avait eu à se défendre, écrit :

« Questo primo dolcissimo baccio impétueusement ravi, me fit un mal affreux. »

Après quelques dérobades dernières, Roland rassemble son courage et d’Amiens envoie sa demande.


C’est avec un entraînement plein d’émoi que, dans le silence recueilli des bibliothèques, le chercheur ouvre pour la première fois un volume de lettres originales. L’imagination est rejetée comme une faculté inutile. Le passé revit. On le touche avec la main. Son odeur sort du papier fané.

La première lettre de Manon Phlipon qui s’ouvre sous nos yeux est justement sa réponse à la demande de Roland. Elle porte la date du 2 octobre 1779. Elle est très belle et commence en ces termes : « Je suis pénétrée, ravie, désolée : je vous plains, je vous gronde, je vous… »

Le papier est le papier courant de l’époque, un solide papier de pur fil qui a résisté aux aventures et au temps. Le texte manuscrit est tracé sur une ligne aussi droite que si le papier était rayé. Peut-être se servait-elle d’un transparent ? L’écriture est classique, distincte en ses détails, fortement caractérisée.

Les majuscules sont hautes et ornées, les mots souvent agrémentés d’une finale en forme de boucle. Les t sont barrés assez bas et légèrement ; l’orthographe est correcte, la ponctuation exacte. Les adresses portent de larges majuscules très décorées et d’un dessin élégant. Mlle Phlipon ne signe pas ses lettres intimes et se contente ordinairement d’un paraphe.

L’écriture de Roland est basse, presque écrasée, très courante, sans aucun art, et accuse parfois le déséquilibre nerveux qui, souvent, apparaît en lui. Ce n’est pas cet ordre parfait, cette sérénité des manuscrits de Mlle Phlipon devenue Mme Roland. Avec l’indifférence de nos pères pour l’orthographe des noms propres, il met deux p à Phlipon et il écrit quai de l’Orloge à Paris, de même que Manon rue du Colège à Amiens.