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MONSIEUR ROLAND DE LA PLATIÈRE

tude. Il perd son argent au jeu. Il a de mauvaises fréquentations. Jeune encore, peut-être pense-t-il à se remarier. La gêne a suivi l’aisance chez le graveur où un seul apprenti suffit maintenant à la besogne.

Les Phlipon ont dû déménager pour prendre un appartement plus petit[1]. La grand’mère Phlipon, l’oncle Bimont, le ménage Besnard, les cousines, toute la parenté conseille à Manon de ne pas se laisser dépouiller du bien de sa mère et de demander des comptes à un père qui oublie ses devoirs. La jeune fille éprouve cependant la plus grande peine à se décider. Enfin, avec des sentiments mêlés où se contredisent le généreux et le raisonnable, elle prend son parti et arrive, après les plus pénibles tribulations à sauver un capital de douze mille livres, qui rapporte 630 francs de rente.

— Il est dur, écrit-elle à Sophie, d’user de ses droits contre l’auteur de ses jours. Je veux donner à mon père, mon temps, mes soins et mon argent, mais il faut que j’aie mon bien pour le lui conserver.

Roland est à Paris, Manon écrit à Sophie. « Notre voyageur m’intéresse beaucoup. Je le vois très peu. »

Mais cela, c’est de la politique. Si elle l’avait vu si peu, on n’aurait pas jasé, et le « sensible et fougueux apprenti », qui était violemment amoureux de la jeune fille, ne serait pas devenu furieux au point de vouloir tuer Roland, que cette disposition met fort mal à l’aise. Manon soupire : « Ô mon ami, comme on aime à vingt ans ! » ce qui veut dire : « Ce n’est pas comme à quarante-cinq ! »

La bonne, Mignonne, avait bavardé chez Sélincourt, frère des demoiselles Cannet. Manon est obligée d’entrer avec celles-ci dans des explications embarrassées :

Mignonne, toutes les fois qu’elle me voyait la plume à la main, s’imaginait que c’était pour ce grand monsieur qui était venu l’autre jour, des papiers sous son bras…

  1. En 1778, les Phlipon déménagèrent, mais probablement sans quitter leur maison. Ils s’installèrent au premier étage, dans un appartement où Manon eut aussi un petit cabinet d’étude qui lui plaisait.