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MADAME ROLAND

remarquable, si l’on songe aux derniers mots que l’histoire lui a prêtés :

« Ô Liberté, idole des âmes énergiques, aliment des vertus, tu n’es pour moi qu’un nom ! À quoi me sert mon enthousiasme pour le bien public lorsque je ne puis rien pour lui ? » Et ailleurs : « L’union, l’amour universels, voilà ma folie ! »

Elle a renoncé à « faire l’agréable en société ». Cependant elle a accepté de se rendre à une fête chez la petite Mme Trude, sa cousine. Elle est « en habit rose, retroussé à la polonaise, avec tous ces petits chiffons de gaze et de fleurs si brillants et si fragiles ». Il y a un an que sa mère est morte. Le deuil n’a pas les rigueurs actuelles et sa puissante jeunesse réagit vivement. Aussi, elle « s’amuse tout de bon » et même « chante pour mettre les autres en train ».

Dans le moment, le plus clair de sa pensée appartient à Jean-Jacques Rousseau. Elle « l’adore presque » et s’aventure même à lui rendre visite après s’être annoncée dans une lettre qu’il n’a pu attribuer à une femme. Mais, arrivée rue Plâtrière, au deuxième étage, elle se heurte à Thérèse Levasseur qui lui barre la porte : « C’est, dit-elle, une femme de cinquante ans au moins, coiffée d’un bonnet rond, avec un déshabillé propre et simple et un grand tablier… Une femme qui a l’air sévère et même un peu dur », mais qui ne paraît nullement repoussante, à cette jeune bourgeoise parfaitement soigneuse de sa personne et de tout ce qui l’entoure. Le témoignage de Mlle Phlipon relève à nos yeux la pauvre « fâme de gangaque ».

Une autre fois, dans un hôtel de la rue de Tournon, elle aperçoit l’empereur philosophe Joseph II, qui voyage incognito sous le nom de comte de Falkenstein : « Il est en habit puce avec un bouton d’acier, de petites bottines et une seule boucle à la frisure. » Tant de simplicité intéresse grandement la jeune républicaine.

À vingt-deux ans, elle se « livre au plaisir d’imaginer les belles choses puisqu’elle ne peut les faire », dit-elle, et s’en remet pour la direction de sa vie à Rousseau, à Plutarque, à Montaigne, « ces trois bons guides ». Elle est tentée parfois de « prendre une culotte et un chapeau pour avoir la liberté de