Page:Clémenceau-Jacquemaire - Madame Roland, 1926.djvu/33

Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
MONSIEUR ROLAND DE LA PLATIÈRE

lons, « vieillard spiritualiste », y fréquentait parfois, ainsi que le bon horloger genevois Moré, le « philosophe républicain » qui avait toujours un livre dans son sac à outils.

En 1773, un ami de Phlipon, M. Demontchery, avant de partir pour les Indes où il comptait faire fortune, avait fait comprendre à Manon qu’à son retour, s’il n’était pas trop tard, il demanderait sa main. En attendant, il lui avait expédié de Pondichéry, au mois de janvier 1776, son ami M. de Sainte-Lette, qui venait en France pour y représenter la colonie au Conseil.

À soixante ans, M. de Sainte-Lette, qui avait passé sa vie à la Louisiane et aux Indes, n’en était pas plus avancé dans ses affaires. À Paris, bien qu’absorbé par ses démarches, il ne passait guère quatre ou cinq jours sans rendre visite à Manon, et celle-ci trouvait beaucoup d’agréments dans la société d’un personnage qui avait couru des aventures si diverses et abordé des hommes de toutes les couleurs.

« Athée tout franc », Sainte-Lette eut sur elle une puissante influence et la détacha plus que personne d’une foi qui avait déjà reçu de sensibles atteintes :

C’était, dit-elle, une âme de feu, de salpêtre et de soufre… la plus brûlante… l’imagination la plus forte qu’il soit possible de se figurer… un ami d’Helvétius, un sectateur de Rousseau… Il avait la démarche fière et le regard de l’aigle… Il est heureux pour moi, dit-elle, que cet homme n’ait pas eu dix ans de moins. Je l’aurais aimé plus que je n’eusse voulu.

Cet oiseau de proie tout plein de l’esprit de Satan, est déjà un modèle de héros romantique et fait penser à certains personnages de George Sand ou de Charles de Bernard. Il avait un ami dont il faisait grand cas, M. de Sevelinges d’Espagny, qui était receveur de la ferme du tabac à Soisssons et dont la femme vint à mourir. Sainte-Lette alla le chercher dans sa province et, pour faire diversion à la douleur du veuf, le présenta au quai de l’Horloge.

C’était un gentilhomme de cinquante-deux ans, qui avait des lettres, et dont la figure méditative intéressa Manon. Ils