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MONSIEUR ROLAND DE LA PLATIÈRE

Sans grand appui du côté d’un père de plus en plus indifférent à son foyer, les années qu’elle allait traverser entre la mort de sa mère et le mariage, devaient être troublées par des élans, des incertitudes, des témérités, où il faut discerner un certain goût du risque, peut-être, mais où il serait injuste de mettre en doute la pureté d’une droite jeunesse. On pourrait, en jouant un peu sur l’orthographe, lui appliquer le mot de Mme de Sévigné : « Tout est sain aux sains. »

Devenue maîtresse de maison, la jeune fille tenait avec compétence le ménage de son père, mais elle avait la tête trop bien faite pour y consacrer inutilement, comme tant d’autres, les heures qu’elle pouvait réserver à l’étude et à l’amitié : « On a toujours du loisir quand on sait s’occuper. Ce sont les gens qui ne font rien qui manquent de temps pour tout », disait-elle.

Par exemple, le temps ne lui manquait jamais pour écrire à Sophie Cannet, fût-ce en pleine nuit :

Tu ne soupçonnais pas que, à cette heure où le sommeil sème ses pavots sur tes yeux, les miens ouverts à la clarté veillent et agissent sur toi et te consacrent le fruit de leur vigilance.

Son style va peu à peu se débarrasser des lieux communs et des métaphores fatiguées. Bientôt il devient ferme et franc comme elle. Assurément elle compose ses lettres, mais c’est par goût du travail bien fait, non avec l’ambition de devenir « une Sévigné ». « Si nous conservons nos barbouillages, dit-elle avec une insouciance qui n’est pas feinte, c’est pour nous faire rire quand nous n’aurons plus de dents. » Ces « barbouillages » tiennent d’ailleurs une place bien intéressante parmi les correspondances du dix-huitième siècle.


Malgré son dévouement et son adresse, la jeune fille ne réussissait guère à retenir son père au logis. C’était en vain que, malgré son aversion pour les cartes, elle s’était condamnée à jouer au piquet avec lui, sans dire un mot, le soir, à la veillée. Elle aurait autant aimé à réciter son chapelet et soupirait