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MADAME ROLAND

Manon écrivait à « sa chère Cannet » régulièrement une ou deux fois par semaine. Le programme était une entière confiance. « Rien ne doit être caché aux yeux d’une amie tendre et sage. » Le mode est lyrique. Manon aspire au style soutenu et ne craint pas l’imparfait du subjonctif. « La vertu l’attire. Le vrai et le sérieux sont ses buts ». Elle « recherche les ornements de l’esprit ». Elle n’aime la conversation que lorsque « l’histoire, les sciences et les nouvelles en font le sujet ». En compagnie, elle est silencieuse. Les hommes disent d’elle : « C’est une dévote. » En effet, à cette époque, son confesseur la domine. Elle est si éloignée de toute dissipation qu’à son sens, on ne doit rendre quelques visites, que pour l’amour du bon Dieu, « car enfin il faut se vaincre, se mortifier, lorsque l’on veut être chrétien ».

Son rêve est « une petite maison à la campagne, placée tout auprès d’une église, accompagnée d’un jardin, où l’art seconderait la nature sans prétendre la surpasser. Quoi encore ?… Une bonne bibliothèque… et Sophie ».

Elle brode en tapisserie ou fait du filet selon « la fureur du jour. »

Sa mère lit à haute voix.

Il arrive pourtant que Manon se rende infidèle à sa solitude.

Elle conte une visite dans une « société littéraire » où un jeune auteur est en train de réciter, quand elle arrive, un petit poème « assez méchant ». Fille d’Alceste par plus d’un trait, elle apparaît naturellement caustique dans son récit, et la flèche décochée « aux vieilles marquises qui viennent encore écouter avec plaisir le langage des passions » rappelle, comme on l’a remarqué, la vive et intelligente Staal-Delaunay.

Au Wauxhall, elle eut en détestation « ces joues fardées où se trouvait plutôt empreinte une ardeur criminelle que le doux vernis de la pudeur » et, à l’Opéra, son bon sens lui fit fort bien sentir le ridicule des danseurs en paniers.

Le plus grand plaisir des Phlipon était d’aller passer la journée à la campagne. Manon avait un penchant pour les bois sauvages qui recouvraient les collines de Meudon. Le samedi soir, parfois, le papa disait avec un air un peu malicieux :