Page:Clémenceau-Jacquemaire - Madame Roland, 1926.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
MADAME ROLAND

fut arrêtée à ce moment précis et se présenta devant elle, sous l’apparence, qui n’avait rien d’effrayant, des demoiselles Cannet, Henriette et Sophie, deux sœurs de dix-huit et de quatorze ans. Henriette, vive, farouche, emportée, bon cœur et mauvais caractère, qu’il « fallait aimer en la grondant » ; Sophie calme, sage comme son nom, laborieuse, raisonneuse, philosophe, la tête froide, le cœur aimant. « Je sentis que je rencontrais une compagne et nous devînmes inséparables. Ouvrages, lectures, promenades, tout me devint commun avec Sophie. »

Au bout de l’année la jeune fille, qui n’avait pu approcher la Sainte Table qu’à moitié évanouie et soutenue par une des bonnes sœurs, fit une première communion qui eut quelque chose de racinien. Ses parents l’emmenèrent et lui apprirent que sa grand’mère Phlipon la demandait pour quelques mois chez elle, dans l’île Saint-Louis où elle habitait.

Cette grand’mère était une personne assez pittoresque, coquette encore à soixante-cinq ans, la démarche fort leste malgré beaucoup d’embonpoint, l’humeur vive, le propos joyeux, et ne semblait point vieille à une fille de douze ans. Elle avait passé son existence de veuve besogneuse chez une parente éloignée, fort riche, Mme de Boismorel, dont elle avait élevé les enfants. Un peu d’argent, qui lui était revenu sur le tard, lui avait permis de se retirer avec sa sœur, la simple et bonne Angélique.

Manon fut, plus que jamais, admirée et choyée dans cet intérieur où elle apportait la lumière de sa jeunesse. Mme Phlipon qui avait un penchant pour le monde et qui était prodigieusement fière de sa petite-fille, éprouva bientôt le besoin de la présenter à l’opulente Mme de Boismorel.

Ce fut une grande toilette dès le matin.

Manon, depuis son enfance, était presque trop bien mise pour sa condition et sa mère, dont la simplicité tombait parfois dans la négligence, ne la détournait point des beaux ajustements.

Les jeunes personnes portaient alors « des corps de robes » très ajustés à la taille et larges au bas comme des manteaux de cour, avec une traîne et des garnitures compliquées de rubans, de fleurs et de passementeries. Mme Phlipon ne choisissait