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LA PRISON. — LA GUILLOTINE

Elle avait froid. De temps à autre, d’un geste rapide et machinal, elle portait la main à son col. Comme Iphigénie à Aulis, elle éprouvait que rien n’est si doux pour les mortels que de voir la lumière du jour et — qui sait — pensait peut-être qu’une vie obscure vaut mieux qu’une belle mort !

Où était la lumière bleue de son enfance et de sa jeunesse, les étés à Meudon et le soleil du Clos ! Une brume glaciale montait de la Seine et, sous les marronniers des Champs-Élysées, la bise roulait les dernières feuilles mortes.

La Liberté, l’une des trois figures colossales que David avait érigées au milieu de la place pour l’anniversaire du 10 août, était restée en face de l’échafaud[1]. Mme Roland se tourna vers elle et lui parla, non de son grand accent justicier, mais avec une familiarité triste, comme à une amie que l’on a beaucoup aimée et que l’on gémit de n’avoir pu sauver du plus grand des malheurs :

— Ô Liberté, lui dit-elle, que de crimes commis en ton nom !

Cette voix, qui allait être honteusement coupée pour toujours, s’éleva une fois encore et demanda que le malheureux Lamarche, incapable de se soutenir, fût exécuté le premier. Comme le bourreau protestait que ce n’était pas la coutume, elle le rassura :

« Je saurai attendre », dit-elle.

Deux fois le couteau tomba.


Une heure plus tard, Bosc, qui arrivait à pied de Sainte-Radegonde, entra chez Mme Sophie Grandchamps pour chercher des nouvelles. La pauvre femme sanglotait et tremblait de la tête aux pieds. Elle venait de rencontrer, dans la rue Saint-Honoré, la charrette qui emmenait Mme Roland à la guillotine.

À Rouen, le matin du 10 novembre, Roland apprit la mort de sa femme par la gazette. Instantanément sa résolution fut prise.

Il savait qu’il était incapable de vivre lorsqu’elle n’était plus.

  1. L’échafaud était dressé entre la statue et la grille des Tuileries.