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LA PRISON. — LA GUILLOTINE

La question était de savoir « s’il avait existé une conspiration horrible contre l’unité, l’indivisibilité de la République, la liberté et la sûreté du peuple français. Marie-Jeanne Phélippon, femme de Jean-Marie Roland, est-elle auteur ou complice de cette conspiration » ? Un autre acte du procès l’accuse « d’avoir cherché à introduire la guerre civile ».

Elle est perdue d’avance. Elle le sait, mais conserve néanmoins un tel sang-froid que, lorsqu’elle rentre dans sa cellule et que, de mémoire, elle reconstitue les débats, son texte se trouve identique à celui du greffier.

Dans la nuit, elle rédige un ardent Projet de défense au tribunal, son dernier écrit, inutile puisqu’elle ne put parler.

Honoré Riouffe, administrateur « suspect », qui était arrivé à la Conciergerie deux jours avant la condamnation des Girondins, écrivit dans ses Mémoires[1] des pages d’un charme poignant sur « cette jolie femme française dont on préparait l’échafaud » et qui « derrière la grille du quartier des femmes, parlait avec la liberté et le courage d’un grand homme ». C’était, dit-il, « un des miracles de la Révolution auxquels on n’était point encore accoutumé. » Il continue :

Le sang des vingt-deux fumait encore lorsque la citoyenne Roland arriva, bien éclairée sur le sort qui l’attendait. Sa tranquillité n’en était point altérée. Sans être à la fleur de l’âge, elle était encore pleine d’agrément. Elle était grande et d’une taille élégante. Sa physionomie était très spirituelle, mais ses malheurs et une longue détention avaient laissé sur son visage des traces de mélancolie qui tempéraient sa vivacité naturelle. Elle avait l’âme d’une républicaine dans un corps pétri de grâces et façonné par une certaine politesse de cour. Quelque chose de plus que ce qui se trouve ordinairement dans les yeux des femmes, se peignait dans ses grands yeux noirs pleins d’expression et de douceur… Elle resta huit jours à la Conciergerie et sa douceur l’avait déjà rendue chère à tout ce qu’il y avait de prisonniers qui la pleurèrent sincèrement…

Nous étions tous attentifs autour d’elle, dans une espèce d’admira-

  1. Mémoires d’un détenu pour servir à l’histoire de la tyrannie de Robespierre. Le cadre étroit de ce petit volume ne permet malheureusement pas de citer entièrement un témoignage de si grand prix !