De quelle hauteur elle parle[1] ! Quand on considère l’élévation du plan où elle se tient, on ne croirait pas que c’est un accès de gaieté qui l’en fera descendre. Mais elle était Française — autant qu’on l’a jamais été. Elle avait besoin de rire, parfois, pour supporter ses peines. Elle n’était pas la seule, du reste, et l’on sait que l’esprit français fut plus fort que l’angoisse dans les prisons de la Terreur.
À ce moment venait d’arriver à Sainte-Pélagie une jeune et sémillante Toulousaine dont le mari avait été mis dans une autre prison. Ce mari, un brave M. Montané, président de tribunal extraordinaire, avait commis, par pitié, de nombreuses irrégularités et s’était fait prendre. Lorsqu’il apprit, dans sa prison, qu’à Sainte-Pélagie, où était la présidente, venait d’arriver un séducteur professionnel, le fameux duc de Lauzun, il s’inquiéta grandement de ce qu’il pourrait arriver à son honneur conjugal si « le général Biron », comme on disait, venait quelquefois se promener dans le quartier des femmes. Cette jalousie amusa au plus haut point les malheureux détenus et Mme Roland, moqueuse et riante, fut chargée d’écrire une lettre de persiflage au pauvre homme pour le rassurer.
Mais ce n’était là qu’un intermède exceptionnel[2].
Mme Roland a demandé au loyal Bosc de lui procurer du poison pour « s’en aller tout juste avant la cérémonie ». Mais Bosc, affermissant son cœur si doux, tâche de hausser son courage jusqu’à celui de son amie. Peut-être, aussi, n’a-t-il pas abandonné cette sorte d’espoir tenace qui, contre toute raison, croit aux revirements brusques du destin. Il répond que le devoir de Mme Roland, à l’égard de la cause et de ses amis, est d’aller jusqu’au bout.
Elle l’a entendu sans protester. Avec douceur, elle se range à l’opinion de son fidèle. Une telle voix est déterminante. Le
- ↑ Mme Roland réfléchit et la lettre ne partit pas.
- ↑ Il est à remarquer que Mme Roland ne parle pas, dans les écrits et dans les lettres qui nous sont parvenus, de la situation terrible où se trouvait la France qui, une fois encore, était en train de se sauver elle-même avec le grand Carnot. La décisive bataille de Wattignies avait dû lui faire battre le cœur. Elle n’en dit rien pourtant, ni de la mort de la reine guillotinée le même jour.