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LA PRISON. — LA GUILLOTINE

Après tout, qu’y a-t-il de si changé dans sa condition ? se demande-t-elle. Et elle répond avec une bravoure imposante : « À Sainte-Pélagie comme à l’Abbaye, n’avais-je pas des livres, du temps ? N’étais-je plus moi-même ? » Elle s’« indigne presque d’avoir été troublée » et ne songe plus qu’à « user de la vie — quel mot sous cette plume ! — à employer ses facultés avec cette indépendance qu’une âme forte conserve au milieu des fers ». Ses Mémoires vont sortir de cette disposition naturelle à la résistance, à l’entrain, au travail.

Composés en moins de deux mois, presque sans corrections, écrits de ces caractères fermes et bien liés qui ont ici le sens d’un symbole, les Mémoires forment un document humain de grand ordre qui n’a pas pris sa vraie place dans les lettres françaises, au voisinage des Confessions.

On a blâmé Mme Roland de s’y être montrée peut-être vaniteuse. On l’a trouvée trop sûre d’elle. On lui a reproché son esprit d’exclusion.

Avant de juger le testament qui est la conclusion de sa vie, il aurait fallu d’abord connaître l’histoire de cette vie. Une édition fautive d’un choix discutable de lettres aux demoiselles Cannet, un article de Sainte-Beuve, c’était tout ce qui accompagnait et préparait généralement la lecture des Mémoires. Comment les eût-on mis dans leur vrai jour ?

Mme Roland était bien forcée de reconnaître sa valeur quand elle se comparait. Elle était trop fière pour n’être pas véridique. De plus, en une certaine mesure, elle croyait à sa mission, comme nous l’avons dit, et elle était portée par une foi qui n’attendait de récompense que de la satisfaction de sa conscience intime. Le martyr ne se serait pas jeté aux bêtes s’il avait douté de la fermeté de son courage et de la puissance de son Dieu.

Les cahiers ont presque la physionomie des lettres. C’est d’une plume incroyablement sereine qu’elle a écrit la fin si poignante :

« Nature, ouvre Ton sein ! Dieu juste, reçois-moi. À trente-neuf ans », et tracé sous ces mots, d’un trait de plume superbement dessiné, son paraphe habituel[1].

  1. Elle signait (fort rarement) : Roland née Phlipon.