Page:Clémenceau-Jacquemaire - Madame Roland, 1926.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
MADAME ROLAND

Les meubles, les glaces, tout cela n’était pas à la dernière mode. Les fauteuils, qui venaient des parents Phlipon, dataient du temps où le roi était encore le Bien-Aimé ; un ou deux portaient même la belle coquille de la Régence. Une ample bergère, simplement foncée de paille, mais garnie de couettes en toile piquée, était peinte en vert d’eau. Les lames du parquet formaient des dessins géométriques et s’entre-croisaient en luisant au soleil. Les rideaux, capricieusement fleuris, se passaient sur les bords, tandis qu’un cartel de bois doré, tout neuf et d’un bon travail, marquait les heures sous un grand nœud en trèfle, parmi les cornemuses.

C’est là qu’une petite fille, qui avait été baptisée vers la fin de l’année 1754 à Sainte-Croix, sa paroisse, des noms de Jeanne-Marie, mais qu’on appelait Manon, grandissait entre un père « robuste et sain » et une mère à « l’âme céleste ».

Des sept enfants qu’ils avaient mis au monde, Gatien Phlipon et Marguerite Bimont, sa femme, n’avaient pu élever que celle-ci. Le ménage était tranquille et prospère.

Ce graveur-ciseleur qui appartenait à Mgr  le comte d’Artois, n’était pas à proprement parler un artiste. Le génie ne l’empêchait pas de vivre dans l’aisance. N’ayant pu continuer, à cause des yeux qu’il avait sensibles, à peindre sur émail comme c’était la mode, il se bornait à la gravure, et faisait travailler avec lui plutôt des ouvriers que des élèves. Il était « glorieux », dit sa fille, et, pour satisfaire ses goûts, il achetait et revendait des bijoux d’occasion. Cependant, s’il faisait des affaires avec des marchands, il n’avait pour amis que des peintres et des sculpteurs. Ce n’était peut-être pas un homme vertueux, comme on verra plus tard, mais il avait de la droiture et de la bonne humeur. Enfin il aimait bien sa femme qui l’avait épousé par sagesse plutôt que par entraînement et lui avait apporté en dot peu de bien, il est vrai, mais un beau visage, un cœur délicat et un caractère raisonnable.


La petite Jeanne-Marie fut mise en nourrice près d’Arpajon, dans la chaumière d’une villageoise « de bonnes mœurs », qui l’allaita jusqu’à l’âge de deux ans.