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crois que, dans cinquante ans, je serai parfaitement oubliée et peut-être durement méconnue. C’est la loi des choses qui ne sont pas de premier ordre, et je ne me suis jamais crue de premier ordre. »

Maintes fois, et en bien éloquents termes, George Sand est revenue sur cette question de l’argent et du travail littéraire, et nous a livré d’émouvantes confidences.

« Lancé dans une destinée fatale, n’ayant ni cupidité ni besoins extravagants, mais en butte à des revers imprévus, chargé d’existences chères et précieuses dont j’étais l’unique soutien, je n’ai pas été artiste, quoique j’aie eu toutes les fatigues, toute l’ardeur, tout le zèle et toutes les souffrances attachées à cette profession sainte ; la vraie gloire n’a pas couronné mes peines, parce que rarement j’ai pu attendre l’inspiration.... Je n’ai jamais eu le temps de regarder ma profession comme quelque chose de mieux qu’un métier. Pourtant je n’étais pas né pauvre ; je ne suis pas naturellement sybarite, et j’aurais pu vivre et travailler en paix. Ceux à qui j’ai dévoué ma vie, consacré mes veilles, sacrifié ma jeunesse, et peut-être tout mon avenir, m’en sauront-ils jamais gré ? — Non, sans doute, et peu importe ! » (Lettres d’un voyageur, p. 188-191.)

Une locution qui revient continuellement sous la plume de George Sand, dans sa très belle correspondance, c’est, quel que soit le destinataire, pourvu qu’il ne soit pas son aîné — et encore ! — «mon enfant, mon cher enfant ». (Cf. t. II, p. 96, 154, 198, 245, 247... ; t. III, p. 158, 203, 213, 228, 368..., etc.) Elle joue sans cesse à la bonne mère, ce qui agace plusieurs de ses correspondants, le docteur Henri Favre, entre autres, qui lui réplique un jour : « Je ne suis pas en quête de maternité », et lui attire les railleries de son envieuse et insatiable ennemie Louise Colet. (Cf. La Revue [ancienne Revue des Revues], 15 juillet 1908, p. 133 ; — et la Revue bleue, 7 mars 1903, p. 313.) Une anecdote pour finir. George Sand ayant fait un opéra de son roman François le Champi, confia le livret à un compositeur allemand dont elle s’était enthousiasmée. Celui-ci, peu familiarisé avec la langue française, et sachant que les moindres coups de plume de George Sand devaient être respectés, mit en musique le manuscrit tout entier. À la fin du premier acte, un choeur de villageois saluait le départ du seigneur, et paysans et paysannes entonnaient à tue-tête, sur un air de danse :

    Il sort par la porte du fond.
    Il sort par la porte du fond !