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est de vivre sans douleur et sans chagrin, et de jouir des plus grands plaisirs du corps et de l’esprit, peut-on dire que nous ayons rien oublié ici de tout ce qui peut rendre la vie agréable, et conduire au souverain bien que nous cherchons ? Cet homme que vous dites esclave de la volupté, Épicure vous crie qu’il n’est point de bonheur sans sagesse, honnêteté, vertu ; ni de sagesse, d’honnêteté, de vertu, sans bonheur.

En effet, puisqu’il ne peut y avoir de calme dans une ville où il y a sédition, ni dans une maison dont les maîtres sont divisés, comment un esprit qui n’est pas d’accord avec lui-même peut-il jouir de quelque volupté qui soit pure ? Tant qu’il se trouvera agité de divers sentiments, il est impossible qu’il goûte le calme et le repos.

Si les maladies du corps sont un obstacle à l’agrément de la vie, à combien plus forte raison les maladies de l’esprit seront-elles un tourment ? J’entends par là ces désirs effrénés et insatiables des richesses, de la domination et des voluptés sensuelles ; ajoutez-y les chagrins et les ennuis dont se laissent continuellement ronger ceux qui ne veulent pas concevoir qu’il ne faut jamais se tourmenter de ce qui n’est point une douleur du corps actuelle, ou de ce qui ne traîne point infailliblement une douleur à sa suite : et comptez le petit nombre de ceux que n’attaque pas quelqu’une de ces maladies, et qu’elle ne rend pas nécessairement malheureux.

Vient ensuite la mort, que ces hommes voient, comme le rocher de Tantale, toujours pendre sur eux. Puis la superstition, qui ne laisse jamais en repos ceux qui en sont imbus. Ils ne savent ni se ressouvenir avec plaisir des biens qu’ils ont eus, ni jouir comme il faut de ceux qu’ils ont ; et ils tremblent à toute heure dans la crainte d’un avenir dont l’incertitude