Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/74

Cette page n’a pas encore été corrigée

effet, nous ne pouvons avoir de sensation que des choses présentes ; par l’esprit nous sentons celles qui ne sont plus et celles qui seront. Quoique nous souffrions également de l’âme quand nous souffrons du corps, cependant ce peut être un grand surcroît de douleur si nous nous figurons, par exemple, qu’un mal éternel et infini nous menace. Et ce que je dis de la douleur, on peut l’appliquer à la volupté ; elle a bien plus de charmes quand l’esprit ne craint point qu’elle finisse.

C’est là une preuve évidente qu’une extrême volupté ou une extrême douleur d’esprit contribue encore plus à rendre la vie heureuse ou misérable, que les mêmes impressions, si elles n’étaient que corporelles.

Nous ne prétendons pas, au reste que, dès qu’on n’a plus de volupté, vient aussitôt le chagrin, à moins que par hasard la volupté ne cède la place à la douleur ; au contraire, nous regardons comme un motif de joie l’absence de la douleur, quand même cette absence ne serait suivie d’aucune volupté sensible ; et par là on peut juger quelle grande volupté c’est que de ne sentir aucune douleur. Mais, comme l’attente des biens que nous espérons nous donne de la joie, le souvenir de ceux dont nous avons joui ne nous rend pas moins heureux. Les fous se font un tourment des maux qui ne sont plus ; les sages, grâce à leur mémoire, se font un plaisir nouveau de leurs plaisirs passés. Or, il ne dépend que de nous d’ensevelir en quelque sorte dans un perpétuel oubli les choses fâcheuses, et de renouveler sans cesse les souvenirs agréables. Notre esprit, fixé attentivement sur le passé, peut faire renaître pour nous la douleur ou la joie.

CHAPITRE XVIII.

ÉLOGE D’ÉPICURE.

Ô route du bonheur facile, directe, ouverte à tous ! Si le sort le plus désirable