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naître les moissons aux mortels infortunés ; c’est elle qui leur procura une vie nouvelle sous l’empire des lois ; c’est elle enfin qui leur fournit des consolations contre les malheurs de la vie, en donnant le jour à cet illustre sage dont la bouche fut l’organe de la vérité, dont les découvertes divines, répandues dans l’univers, ont porté la gloire, victorieuse du trépas, jusqu’au plus haut des cieux.

Ce grand homme, considérant que les mortels, avec la plupart des ressources qu’exigent le besoin et la conservation, avec des richesses, des honneurs, de la réputation, des enfants bien nés, n’en étaient pas moins la proie de chagrins intérieurs, qu’ils gémissaient comme des esclaves dans les fers, comprit que tout le mal venait du vase même qui, étant vicié, corrompt et aigrit ce qu’on y verse de plus précieux, soit que, perméable et privé de fond, il reçoive toujours sans jamais se remplir, soit que, intérieurement souillé, il infecte de son noir poison tout ce qu’il renferme.

Il commença donc par purifier le cœur humain en y versant la vérité ; il mit des bornes à ses désirs et à ses alarmes, lui fit connaître la nature de ce bien suprême auquel nous aspirons tous, la voie la plus facile et la plus courte pour y parvenir : il lui apprit quels sont les maux auxquels le pouvoir irrésistible de la nature assujettit tous les mortels, et qui viennent assaillir l’homme, ou par une irruption fortuite, ou par un effet nécessaire des dispositions de la nature ; il lui apprit de quel côté l’âme doit se mettre en défense contre leurs assauts, et combien sont vaines ces sombres inquiétudes qu’elle nourrit trop souvent au fond d’elle-même. Car si les enfants s’effrayent de tout pendant la nuit, nous-mêmes, en plein jour, nous sommes les jouets de terreurs aussi frivoles. Ce qu’il faut pour dissiper ces craintes et ces ténèbres, ce ne sont pas les rayons du soleil et de la lumière du jour, mais l’étude réfléchie de la nature : livrons-nous-y donc, ô Memmius !