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de nos combats. Aussi sommes-nous plus coupables, à mon sens, que ces enfants de la terre : ils étaient nus ; la toison des animaux leur était nécessaire contre le froid ; mais nous, quel besoin avons-nous de l’or, de la pourpre et des riches broderies, quand nous sommes à l’abri sous une étoffe commune ? Ainsi l’homme se tourmente et s’épuise en vain ; il consume ses jours dans des soins superflus, parce qu’il ne met point de bornes à sa cupidité, parce qu’il ne connaît pas les limites au delà desquelles le véritable plaisir ne croît plus. Voilà ce qui a rendu peu à peu la vie humaine si orageuse, et suscité tant de guerres cruelles qui bouleversent la société.

Le soleil et la lune, ces deux globes éclatants qui promènent alternativement leur lumière dans le riche palais des cieux, ont fait connaître aux liomincs la vicissitude constante des saisons et l’ordre invariable qui l’ègne dans la nature.

Déjà l’homme vivait sous l’abri de ses tours et de ses forteresses. La terre était divisée entre ses habitants, la culture florissante, la nier couverte de voiles innombrables, les nations unies d’intérêts et liées par des traités, lorsque les poëtes, par leurs chants, transmirent les événements à la postérité :l’invention de l’écriture est peu antérieure à cette époque. Voilà pourquoi il ne nous reste de ces anciens temps d’autres traces que celles que la raison peut entrevoir confusément.

La navigation, l’agriculture, l’architecture, la jurisprudence, l’art de forger les armes, de construire les chemins, de préparer les étoffes, les autres inventions de ce genre, les arts même de pur agrément, comme la poésie, la peinture, la sculpture, ont été le fruit tardif du besoin, de l’activité et de l’expérience. Ainsi le temps amène pas à pas les découvertes, l’industrie en accélère les progrès, et le génie y porte sans cesse un nouveau jour, jusqu’à ce qu’elles aient atteint leur dernier degré de perfection.

LVI
ÉPICURE LIBÉRATEUR DE l’AME HUMAINE[1].

C’est Athènes, cette ville fameuse, qui la première fit con-

  1. Lucrèce, De nat. rer. l. VI, init., trad. Lagrange revue par M. Blanchet.