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qu’elle s’adresse, et n’est-ce point pour elle qu’elle propose une fin qui soit digue d’elle ; elle n’a vu que la partie inférieure de nous-mêmes, qui nous est commune avec la brute : de là vient sans doute qu’au lieu du bonheur des dieux, c’est le plaisir des bêtes dont elle veut faire notre fin.

Au-dessus d’une telle fin, quoi qu’en dise Epicure, notre pensée en conçoit une autre, fin meilleure et plus digne de nous ; et, comme la pensée de l’homme la conçoit, sa volonté doit la choisir, la réaliser dans ses actions[1].

Cicéron semble avoir compris que, dans toute cette discussion sur les principes de la morale, on aboutit logiquement à une sorte d’alternative que l’agent moral peut seul résoudre. Il faut choisir, parmi les fins diverses que proposent les moralistes, celle qui semble la plus digne de soi : choix inévitable, que tout individu doit faire, et que seul il peut faire.

Entre l’homme qui se dégrade lui-même par la doctrine du plaisir, et l’homme qui travaille par la volonté à s’élever lui-même et à élever les autres ; entre cet être à peine distinct de l’animal, qu’Epicure imagine, et cet être fait pour devenir un dieu que les stoïciens représentaient sous la grande figure d’Hercule ; entre ces deux types si divers que conçoit la raison humaine, le choix est nécessaire, et il faut que la volonté morale fasse librement ce choix. « N’attends plus cela que de toi-même[2] », dit profondément Cicéron à Torquatus. Que chacun, en effet, se fixe à lui-même la fin qu’il se croit digne de poursuivre ; que chacun s’estime à sa valeur[3].

  1. L. II, ch. xxxiv-xxxv.
  2. L. II, ch. xxxv, § 118 : “ Quod jam a me exspectare noli. ”
  3. L. II, ib. : “ Tute introspice in mentem tuam ipse… percontare ipse te. ”