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Mais tous ces corps sont si éloignés d’avoir rien de commun avec la nature divine et si indignes d’être placés au rang des dieux, qu’ils sont propres au contraire à nous donner l’idée d’une matière brute et inanimée.

XLIX
DES DIEUX.

Refuse-toi aussi à croire que les dieux habitent aucune des régions du monde. Les dieux sont des substances déliées que les sens ne peuvent apercevoir, que l’âme elle-même saisit à peine. Si donc ils se dérobent au contact de nos mains, ils ne doivent toucher aucun des objets soumis à notre tact, puisqu’il est impossible de toucher à ce qui est intangible de sa nature. Leur séjour doit donc être bien différent du nôtre, et aussi subtil que leurs corps ; vérité que je prouverai dans la suite avec plus d’étendue.

Dire que les dieux ont établi en notre faveur le bel ordre de la nature, que par conséquent nous devons bénir et croire immortel l’ouvrage de leurs mains, et que c’est un crime de saper par des discours audacieux les fondements de cet édifice indestructible que la sagesse divine a construit pour l’espèce humaine, de pareilles fables, ô Memmius ! sont le comble de la folie. Quel bien notre reconnaissance pouvait-elle procurer à ces êtres immortels et fortunés, pour les déterminer à faire de nos plaisirs communs la fin de leurs travaux[1] ? Tranquilles de toute éternité, quel nouvel intérêt, au bout d’un si grand nombre de siècles, aurait pu leur faire souhaiter de changer d’état ? Le changement n’est désirable que pour ceux dont le sort est malheureux ; mais des êtres qui, durant les siècles précédents, n’avaient jamais connu l’infortune, et dont la vie coulait dans une sérénité continuelle, qui aurait pu allumer en eux le désir de la nouveauté ? Dira-t-on qu’ils languissaient dans les ténèbres et dans l’abattement, jusqu’au moment où l’on vit briller l’éclat de la nature naissante ? Et nous-mêmes, était-ce un malheur pour nous de n’être pas nés ? Quiconque est entré dans le séjour de la

  1. L’épicurisme était incapable de s’élever à la conception platonicienne de la création par l’amour désintéressé.