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tifiées par le tact ; que le goût, l’odorat ou les yeux nous préserverout des surprises du tact ? Non, saus doute : chaque sens a ses fonctions et ses facultés à part. Il est donc nécessaire que la dureté ou la mollesse, le froid ou le chaud, soient du ressort d’un sens particulier, les couleurs et les qualités relatives à la couleur du ressort d’un autre ; qu’enfin les saveurs, les odeurs et les sons aient aussi leur juge à part ; et par couséquent les sens ne peuvent se rectifier les uns les autres. Ils ne pourront pas non plus se rectifier eux-mêmes, puisqu’ils mériteront toujours le même degré de confiance. Leurs rapports sont donc vrais en tout temps.

Si ia raison ne peut pas expliquer pourquoi les objets qui sont carrés de près paraissent ronds dans l’éloiguement, il vaut mieux, au défaut d’une solution vraie, donner uue fausse raison de cette double apparence que de laisser échapper l’évidence de ses mains, que de détruite toute certitude, que de démolir cette base sur laquelle sont fondées notre vie et notre conservation. Car ne crois pas qu’il ne s’agisse ici que des intérêts de la raison ; la vie elle-même ne se soutient qu’en osant, sur le rapport des sens, ou éviter les précipices et les autres objets nuisibles, ou se procurer ce qui est utile. Ainsi tous les raisonnements dont on s’arme contre les sens ne sont que de vaines déclarations.

Enfin, dans la coustruction d’uu édifice, si la règle dont se sert l’architecte est défectueuse, si l’équerre s’écarte de la direction perpendiculaire, si le niveau s’éloigne par quelque endroit de sa juste situation, il faut nécessairement que tout le bâtiment soit vicieux, penché, alfaissé, saus grâce, sans aplomb, sans proportion ; qu’une partie paraisse prête à s’écrouler, et que tout s’écroule, en elfet, pour avoir été d’abord mal conduit : de même, si l’on ne peut compter sur le rapport des sens, tous les jugernents qu’on portera seront trompeurs et illusoires.

XLI
HYPOTHÈSE ÉPICURIENNE DES IDÉES-IMAGES.

Maintenant, ô Memmius ! apprends en peu de mots quels sont les corps qui agissent sur l’âme, et d’où lui viennent ses idées. Je dis d’abord qu’il y à une espèce particulière de