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cinq cents portées de traits : entre ces montagnes et le soleil, les mers s’étendent à l’infini sous la voûte des cieux, et, au delà de ces mers, des régions sans nombre peuplées d’habitants divers et d’animaux de toute espèce.

Un amas d’eau d’un pouce de profondeur entre les pierres dont nos rues sont pavées nous fait apercevoir sous nos pieds un espace aussi vaste que celui qui, sur nos têtes, sépare le ciel de la terre ; on croirait que le globe, percé dans toute sa profondeur, expose à nos yeux de nouveaux nuages, nous montre l’autre moitié du ciel et les corps cachés dans cette enceinte inconnue.

Si votre coursier s’arrête au milieu d’un fleuve et que vous regardiez fixement l’onde sous vos pieds, le quadrupède, quoique immobile, vous paraîtra emporté par une force étrangère contre le courant ; et, de quelque côté que vous jetiez les yeux, vous verrez tous les corps, entraînés de la même manière, remonter rapidement le fleuve.

Un portique formé de colonnes parallèles et égales en hauteur, vu de l’une de ses extrémités dans toute sa longueur, se resserre peu à peu sous la forme d’un cône ; le toit s’abaisse vers le sol, le côté droit se rapproche du gauche, jusqu’à ce que l’œil ne distingue plus que l’angle confus d’un cône.

Les matelots voient le soleil se lever du sein de l’onde, se coucher dans l’onde et y ensevelir sa lumière, parce qu’en effet ils n’aperçoivent que le ciel et l’eau : ne taxez donc pas légèrement leurs sens de mensonge. D’un autre côté ceux qui ne connaissent point la mer croient voir tous les navires dont elle est couverte, déformés et brisés, faire effort contre les flots. La partie des rames et du gouvernail élevée au-dessus de l’onde est droite ; la partie plongée dans la mer paraît se courber, remonter horizontalement, et, par cette réfraction, presque flotter à la surface.

Quand les vents, pendant la nuit, chassent dans l’air des nuages clairsemés, les astres brillants paraissent s’avancer contre les nues, et rouler au-dessus d’elles dans une direction contraire à leur cours naturel.

Pressez de la main la partie inférieure d’un de vos yeux, tous les objets vous paraîtront doubles : vos flambeaux porteront deux lumières, vos riches ameublements croîtront de moitié, vous verrez les hommes avec deux corps et deux visages.