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leurs âmes soient composés, peut-on concevoir un tissu aussi subtil et aussi délicat ?

Agite légèrement la tige des plantes qui exhalent une odeur piquante, telles que le panace, l’absinthe amère, l’aurone acerbe et la triste centaurée ; tu reconnaîtras aussitôt l’existence d’une foule de simulacres qui volent de mille manières, sans aucune énergie, et sans être sensibles à nos organes. Mais combien ces images sont-elles petites, comparées aux corps dont elles sont les émanations ! C’est ce que personne ne pourra jamais ni apprécier ni exprimer.

Avec quelle facilité et quelle promptitude se forment ces simulacres ! Avec quelle abondance ils se détachent et s’échappent sans cesse des objets ! Des surfaces de tous les corps émanent incessamment des corpuscules qui, arrivés aux objets extérieurs, pénètrent les uns, comme les étoffes, sont divisés par les autres sans en réfléchir l’image, comme par le bois et les rochers.

Remarque que la vitesse est le partage des corps légers et formés d’atomes subtils. Ainsi la lumière et la chaleur du soleil ont une grande vélocité, parce qu’elles résultent d’éléments déliés, qui, se poussant les uns les autres, pénètrent sans peine les interstices de l’air, aidés par l’impulsion des atomes qui les suivent. Car la lumière fournit sans cesse à la lumière, et la vitesse des rayons s’accélère toujours par la nouvelle secousse de ceux qui leur succèdent. Les simulacres, pour la même raison, doivent parcourir en un moment des espaces incroyables : d’abord parce que ces corpuscules subtils sont continuellement chassés par une impulsion postérieure, ensuite parce que, leur tissu étant aussi délié, ils peuvent sans peine pénétrer tous les corps, et se filtrer, pour ainsi dire, dans tous les interstices de l’air.

D’ailleurs, si l’on voit des corpuscules émanés de l’intérieur même des corps, comme la lumière et la chaleur du soleil, se répandre en un moment dans toute l’étendue de l’atmosphère, se disperser sur la terre et les eaux, s’élever vers le ciel, le baigner de leurs feux, enfin se porter de toutes parts avec tant de rapidité, ne vois-tu donc pas que des simulacres placés à la surface des corps, et dont l’émanation n’est retardée par aucun obstacle, doivent nécessairement s’élancer plus vite et plus loin, et parcourir un espace beaucoup plus considérable dans un temps égal à celui