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foudre de guerre, la terreur de Carthage, a livré ses ossements à la terre, comme le plus vil de ses esclaves. Joignez-y les inventeurs des sciences et des arts, les compagnons des Muses, et Homère, leur souverain ; il s’est comme eux endormi dans le repos éternel. Démocrite, averti par l’âge que les ressorts de son esprit commençaient à s’user, alla présenter lui-même sa tête à la mort. Epicure aussi a vu le terme de sa carrière, lui dont le génie dépassa de beaucoup toutes les autres intelligences, et qui éclipsa tous les autres, comme l’éclat du soleil levant efface la lumière des étoiles.

Et tu balances, tu t’indignes de mourir, toi dont la vie est une mort continuelle, qui te vois mourir à chaque instant ; toi qui livres au sommeil la plus grande partie de tes jours, qui dors même en veillant, et dont les idées sont des songes ; toi qui, toujours en proie aux préjugés, aux terreurs chimériques, aux inquiétudes dévorantes, ne sais pas en démêler la cause, et dont l’âme est toujours incertaine, flottante, égarée !

Si les hommes connaissaient la cause et l’origine des maux qui assiégent leur âme comme ils sentent le poids accablant qui s’appesantit sur eux, leur vie ne serait pas si malheureuse ; on ne les verrait pas chercher toujours sans savoir ce qu’ils désirent, et changer sans cesse de place, comme s’ils pouvaient par là se délivrer du fardeau qui les opprime.

Celui-ci quitte son riche palais pour se dérober à l’ennui ; mais il y rentre un moment après, ne se trouvant pas plus heureux ailleurs. Cet autre se sauve à toute bride dans ses terres : on dirait qu’il court y éteindre un incendie ; mais à peine en a-t-il touché les limites qu’il y trouve l’ennui ; il succombe au sommeil, et cherche à s’oublier lui-même : dans un moment il regagnera la ville avec la même promptitude. Ainsi chacun se fuit sans cesse : mais on ne peut s’éviter ; on se retrouve, on s’importune, on se tourmente toujours : c’est qu’on ignore la cause de son mal. Si on la connaissait, renonçant à tous ces vains remèdes, on se livrerait à l’étude de la nature, puisqu’il est question, non pas du sort d’une heure, mais de l’état éternel qui doit succéder à la mort.

Que signifient ces alarmes qu’un amour mal entendu de la vie vous inspire dans les dangers ? Les jours des mortels