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ressent que par son union avec lui. Mais supposons qu’il lui soit avantageux de se construire un corps pour y entrer, on ne voit pas au moins par quel moyen elle pourrait y réussir. Donc l’âme ne se construit pas elle-même un corps et des membres. Elle n’entre pas non plus dans des membres tout formés ; autrement cette liaison intime, cet accord parfait ne saurait exister entre les deux substances.

Enfin il est ridicule de s’imaginer que les âmes se rendent au moment précis de l’accouplement et de la naissance des animaux, qu’un nombreux essaim de substances immortelles s’empressent autour d’un germe mortel, et se disputent l’avantage d’être introduite la première, à moins que, pour prévenir la discorde, elles ne conviennent entre elles de céder la place à la plus diligente.

Chaque être a son lieu marqué pour exister et pour croître : l’âme ne peut non plus naître isolée, ni vivre indépendante du sang et des nerfs. Si elle avait ce privilége, elle pourrait à plus forte raison se former dans la tête, dans les épaules, dans les talons, ou dans toute autre partie du corps, puisqu’enfin elle resterait toujours dans le même homme, dans le même vaisseau. Or, si nous sommes sûrs que l’esprit et l’âme ont dans le corps un siége marqué pour leur existence et leur accroissement, nous sommes bien plus autorisés à nier qu’ils puissent naître et subsister sans lui. Ainsi quand le corps périt, il faut que l’âme elle-même soit décomposée.

C’est folie d’unir le mortel à l’immortel, de supposer entre eux un accord mutuel, une communauté de fonctions. Qu’y a-t-il de plus différent, de plus distinct, et de plus opposé que ces deux substances, l’une périssable et l’autre indestructible, que l’on prétend allier, pour leur faire supporter conjointement mille accidents funestes ?

Enfin un corps subsiste éternellement, ou parce que sa solidité résiste au choc, à la pénétration, à la dissolution, comme les principes de la matière, dont nous avons ci-dessus fait connaître la nature, ou parce qu’il ne donne pas de prise au choc, comme le vide, cet espace impalpable dans lequel se perd toute action destructive, ou enfin parce qu’il n’est point environné d’un espace qui puisse recevoir ses débris après sa dissolution, comme le grand tout, hors duquel il n’y a ni lieu où se dissipent ses parties, ni corps pour les heurter et les séparer. Or l’âme n’est pas immortelle en tant