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blage ne pourra s’accroître et se nourrir. Mais comme une expérience journalière nous rend témoins de la formation et du progrès de tous les corps, tu es obligé de convenir que chaque espèce est entretenue par un nombre infini d’éléments.

Voilà pourquoi les mouvements destructeurs ne peuvent tenir les corps dans un état de dissolution continuelle, ni les mouvements créateurs leur assurer une éternelle durée. Ces principes ennemis se font la guerre avec des succès à peu près égaux. Tantôt les uns, tantôt les autres remportent la victoire, pour être défaits à leur tour. Les vagissements que poussent les enfants au moment de leur entrée dans la vie se mêlent au râle de la mort, et jamais l’aurore ni la nuit n’ont visité ce globe sans entendre les cris plaintifs de l’enfant au berceau, et de tristes sanglots autour d’un cercueil.

Mais une vérité qu’il faut graver dans ta mémoire en traits ineffaçables, c’est que, de tous les corps dont la nature nous est connue, il n’y en a aucun qui soit formé d’une seule espèce de principes, aucun qui ne résulte d’un mélange d’éléments. Et plus ua corps a de propriétés, plus ses atomes constitutifs différent en nombre et en figures.

XXIII
IMMUTABILITÉ DES ESPÈCES.

Ne crois pas pourtant que les atomes de toute espèce puissent se lier ensemble : les monstres seraient plus communs dans la nature. On verrait tous les jours des corps humains terminés en bêtes féroces, des branches touffues s’élever du corps d’un animal vivant, des substances terrestres unies à des substances marines, et des chimères redoutables, dont la gueule armée de feux dévasterait toutes les productions de la terre. Si ces prodiges n’ont pas lieu dans la nature, c’est que tous les êtres formés de certains éléments, par une certaine force génératrice, conservent, en s’accroissant, chacun son espèce particulière.

Cet ordre ne peut jamais s’interrompre, parce que chaque animal tire des aliments les sucs les plus analogues à sa constitution, qui s’unissent au corps, et contribuent au mou-