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ne diminue. Ainsi le mouvement dont ils sont doués maintenant est le même qu’ils ont eu dans les siècles précédents, et qu’ils conserveront à jamais ; les corps qui sont produits d’ordinaire le seront encore suivant la même loi ; ils reparaîtront, ils croîtront, ils acquerront les qualités propres chacun à sa nature, et aucune force ne pourra changer ce grand tout. Car il n’y a pas d’endroits par où des éléments fugitifs puissent s’échapper de la masse, ni par où des atomes étrangers, par une incursion subite, puissent troubler l’ordre de la nature et en détourner les mouvements.

XIX
APPARENTE IMMOBILITÉ DE L’UNIVERS.

Tu ne dois pas être surpris que, malgré ce mouvement continuel des atomes, l’univers paraisse immobile, à l’exception des corps qui ont un mouvement propre. En effet, les éléments de la matière échappent à nos organes, et si leur masse est insensible, leur mouvement ne doit-il pas l’être à plus forte raison, puisque la distance nous dérobe le mouvement des corps même les plus sensibles ? Souvent les brebis, en paissant les verts gazons, se traînent sur le dos des collines, où les appelle une herbe fraîche et brillante des perles de la rosée, tandis que les tendres agneaux, rassasiés d’un lait pur, folâtrent à côté de leurs mères et exercent leurs jeunes fronts à des luttes innocentes : ce tableau mobile, vu de loin, se confond pourtant, et ne laisse distinguer à l’œil que la verdure, sur laquelle ressort la blancheur des troupeaux. Qu’une armée nombreuse couvre la plaine et suive à grands pas ses drapeaux flottants ; que la cavalerie tantôt voltige autour des légions, tantôt franchisse en un moment des espaces immenses ; que l’acier renvoie ses éclairs au ciel ; que les campagnes se colorent par le reflet de l’airain ; que la terre retentisse sous les pas des soldats, et que les monts voisins repoussent leurs cris guerriers jusqu’aux voûtes du monde : cependant, du sommet d’une montagne, cette multitude paraît immobile, et son éclat semble appartenir à la terre.