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tière se soient placés avec intelligence dans l’ordre où nous les voyons, ni qu’ils aient concerté entre eux les mouvements qu’ils voulaient se communiquer : mais, après un grand nombre de combinaisons diverses, mus de toute éternité dans l’espace par des chocs étrangers, en essayant toute sorte de mouvements et d’assemblages particuliers, ils se sont rangés dans l’ordre dont notre monde est le résultat ; et c’est en conséquence de cet ordre, auquel ils sont demeurés fidèles depuis un grand nombre de siècles, que nous voyons constamment les grands fleuves abreuver l’immense océan, l’astre du jour renouveler par sa chaleur les productions de la terre, la fleur de la santé se répandre sur toutes les espèces vivantes, et les flambeaux éthérés se repaitre de leurs éternels aliments : ce qui ne pourrait avoir lieu si une infinité d’éléments ne travaillait sans cesse à la reproduction des êtres. De même que les animaux, privés de nourriture, languissent et meurent, ce grand tout périra aussi quand la matière, détournée de son cours naturel, cessera de fournir aux reproductions.

XI
ÉLOGE DE LA PHILOSOPHIE ÉPICURIENNE.

Il est doux de contempler du rivage les flots soulevés par la tempête, et le péril d’un malheureux qui lutte contre la mort : non pas qu’on prenne plaisir à l’infortune d’autrui, mais parce que la vue est consolante des maux qu’on n’éprouve point. Il est doux encore, à l’abri du danger, de promener ses regards sur deux grandes armées rangées dans la plaine. Mais rien n’est plus délicieux que d’abaisser ses regards du temple serein élevé par la philosophie, de voir les mortels épars s’égarer à la poursuite du bonheur, se disputer la palme du génie ou les honneurs que donne la naissance, et se soumettre nuit et jour aux plus pénibles travaux, pour s’élever à la fortune ou à la grandeur.

Malheureux humains ! cœurs aveugles ! dans quelles ténèbres, au milieu de quels périls vous passez ce peu d’instants de votre vie ! N’entendez-vous pas le cri de la nature ? Elle ne demande qu’un corps exempt de douleur, une âme libre de terreurs et d’inquiétudes.