Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

posséder la matière d’où tout est tiré, et sans laquelle il ne peut y avoir de composition.

Mais supposons que la divisibilité des éléments n’ait pas de bornes, au moins vous ne pouvez nier qu’il n’existe de toute éternité des corps qui n’ont jamais reçu d’atteinte. Mais s’ils sont fragiles de leur nature, comment ont-ils pu résister aux assauts continuels que les siècles leur ont livrés ?

VIII
UNIFORMITÉ DES ÉLÉMENTS DE LA MATIÈRE.

Les principes à l’aide desquels ont été construits le ciel, la mer, la terre, les fleuves et le soleil sont les mêmes qui, mêlés avec d’autres el diversement arrangés, ont formé les grains, les arbres et les animaux. Ne remarques-tu pas, dans ces vers que tu lis, les mêmes lettres communes à plusieurs mots ? Cependant les vers et les mots diffèrent beaucoup, soit par les idées qu’ils présentent, soit par le son qu’ils font entendre : telle est la différence que met entre les corps l’arrangement seul des éléments. Mais les principes de la matière ont encore mille autres circonstances qui doivent jeter une variété infinie dans les résultats.

IX
ENTHOUSIASME DE LUCRÈCE POUR LA DOCTRINE ÉPICURIENNE.

Apprends maintenant les vérités qui me restent à te découvrir. Je n’ignore pas combien elles sont obscures ; mais l’espérance de la gloire aiguillonne mon courage, et verse dans mon âme la passion des muses, cet enthousiasme divin qui m’élève sur la cime du Parnasse, dans des lieux jusqu’alors interdits aux mortels, J’aime à puiser dans des sources inconnues ; j’aime à cueillir des fleurs nouvelles, et à ceindre ma tête d’une couronne brillante, dont les muses n’ont encore paré le front d’aucun poëte : d’abord parce que mon sujet est grand, et que j’affranchis les hommes du joug de la superstition ; ensuite parce que je répands des flots de lumière sur les matières les plus obscures, et les grâces de la poésie sur une philosophie aride. Et n’ai-je pas raison ?