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loppent, et la terre, au moment marqué par la saison, expose avec assurance ses tendres nourrissons à l’impression de l’air ? Si l’être sortait du néant, elles naîtraient tout à coup, dans des temps indéterminés, dans des saisons contraires, puisqu’il n’y aurait pas d’éléments dont le vice des saisons pût empêcher l’assemblage.

Allons plus loin ; les corps tirés du néant n’auraient pas besoin, pour croître, du temps et de la réunion de leurs germes ; l’enfant deviendrait tout à coup jeune homme, et l’arbuste à peine éclos s’élancerait vers la nue. Ce n’est pas là la marche de la nature : la fixité des éléments assujettit les corps à des progrès lents ; tout en croissant, ils conservent leur caractère, preuve évidente que chaque être a sa matière propre qui sert à le nourrir et à le développer.

Enfin, pourquoi la nature n’a-t-elle pas pu faire des hommes assez grands pour passer à gué l’océan, assez forts pour déraciner de la main les plus hautes montagnes, assez robustes pour survivre à la révolution de plusieurs siècles, sinon parce que la nature fixe les éléments, détermine les qualités des individus ? Avouons donc que rien ne se peut faire de rien, puisque chaque corps à besoin, pour venir à l’air et à la lumière du jour, d’un germe particulier.

Enfin, ne voyons-nous pas les terres cultivées plus fertiles que les déserts, et les productions de la nature s’améliorer sous la main du laboureur ? Il y a donc dans le sol des parties élémentaires, dont nous excitons l’énergie en remuant les glèbes et en déchirant le flanc de la terre. Autrement, sans que nous eussions besoin de nous tourmenter, tous les êtres tendraient d’eux-mêmes à la perfection.

A cette vérité joignons-en une autre : c’est que la nature n’anéantit rien, mais dissout simplement chaque corps en ses parties élémentaires, Si les éléments étaient destructibles, les corps disparaitraient en un moment ; il ne serait pas nécessaire qu’une action lente troublât l’union des principes, en rompit les liens : au lieu que la nature, ayant rendu éternels les éléments de la matière, ne nous présente l’image de la destruction que quand une force étrangère a frappé la masse ou pénétré le tissu des corps.

D’ailleurs, si Le temps anéantissait tout ce qui disparait à nos yeux, dans quelle source puiserait la nature ? Comment Vénus ramènerait-elle à la lumière les différentes espèces