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CRITIQUE DE L'AMITIÉ ÉPICURIENNE (suite).

LES AMIS D’ÉPICURE.

Oui, sans doute, vous le feriez, Torquatus ; car je crois qu'il n'y a rien de louable et de glorieux que la crainte de la douleur ou de la mort pût vous empêcher de faire. Mais il ne s'agit pas ici de ce que vous feriez par grandeur d'âme ; il ne s'agit que de votre opinion. Celle que vous soutenez, et les préceptes que vous approuvez, renversent l'amitié de fond en comble, quoique votre maître ne cesse de l'élever jusqu'au ciel. Mais vous dites qu'il a été lui-même très-ferme dans ses amitiés : encore une fois, je ne nie pas qu'il n'ait été un homme de probité, un homme doux et humain ; ce n'est pas de ses mœurs qu'il est question, c'est de sa doctrine. Je laisse aux Grecs leur emportement et leur aigreur dans la dispute, et les injures dont ils accablent ceux qui ne sont pas de leur sentiment. Mais s'il est vrai qu'il ait été fidèle en amitié (car je n’affirme rien là-dessus), il n'en a pas moins fait un mauvais système.

“ Mais il a eu, dites-vous, de nombreux approbateurs. ” Avec raison, peut-être ; mais le témoignage de la multitude est un argument assez faible ; car, dans tous les arts, dans tous les genres d'étude, dans toute espèce de science, comme dans la vertu même, rien n'est plus rare que d'y exceller.

Par cela même qu'Épicure a été homme de bien, qu'il y a toujours eu et qu'il y a encore beaucoup de ses sectateurs fermes dans leurs amitiés, graves et constants dans toute leur conduite, et se gouvernant, non d'après la volupté, mais d'après le devoir, on reconnaît combien la vertu l'emporte sur la