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qu'il faut toujours préférer l'honnête à l'utile. Vous imaginez-vous qu'il en ait eu après cela quelque remords, quelque inquiétude ? Rien moins. Il ne voulait que devenir riche, il le devint, et par conséquent il en fut très-aise : car il faisait grand cas de l'argent, et surtout d'un argent qui n'était point acquis contre la loi, mais par la loi. Et ne devez-vous pas aussi, vous autres, vous exposer à toutes sortes de dangers pour acquérir des richesses, puisqu'elles procurent les plus grandes voluptés ?

Si nos philosophes, qui regardent les choses justes et honnêtes comme désirables par elles-mêmes, tiennent qu'on doit s'exposer à tous les périls pour l'amour de ce qui est juste et honnête, les vôtres, qui mesurent tout par la seule volupté, doivent s'exposer à tout pour l'amour de la volupté. Plus l'affaire sera importante et l'héritage considérable, plus l’argent qu'on en pourra tirer procurera de plaisirs ; et, si votre Épicure veut s'en tenir à ses principes sur le souverain bien, il faudra qu'il fasse comme Scipion, lorsqu'il se proposa de faire repasser Annibal d'Italie en Afrique : de même que ce grand homme, qui n'avait pour but que l'honneur, ne craignit pas de braver les plus affreux périls ; ainsi votre sage, quand il sera excité par quelque grand profit, luttera, pour son plaisir, contre la fortune.

Si son crime ne se découvre point, il s'en applaudira : s'il est pris sur le fait, il méprisera la punition des lois ; car il est préparé à ne se point soucier de la mort, il est préparé à l'exil, et même à la douleur, que vous regardez comme intolérable, quand vous l'envisagez comme le supplice des méchants, mais que vous trouvez facile à supporter quand vous dites que votre sage a toujours plus de plaisir que de douleur.


CHAPITRE XVIII.

LA JUSTICE N'A PAS