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ristippe, qui proposait à l’homme comme bien suprême le plaisir de l’instant présent, et admettait autant de “ fins particulières ” qu’il y a de plaisirs particuliers. Epicure, lui, n’admet qu’une seule fin générale, le plaisir de la vie tout entière, et il complète ainsi la doctrine de la volupté proprement dite, à laquelle s’était arrêté Aristippe, par la doctrine de l’utilité ou du bonheur. L’homme ne doit pas rechercher seulement tel ou tel plaisir, mais la plus grande somme de plaisirs, constituant le plus grand bonheur.

De là vient que l’homme peut et doit éviter tel plaisir particulier, si ce plaisir a pour conséquence la peine, et au contraire rechercher telle douleur particulière, si cette douleur a pour conséquence le plaisir.

Par ce principe s’expliquent tous les sacrifices et tous les dévouements que rapporte l’histoire et qui “ donnent un si beau champ à l’éloquence[1]. ” Alors même qu’on semble, dans un élan d’héroïsme, rechercher la douleur, ce qu’on recherche en réalité, c’est le plaisir qui la suivra. Ici les épicuriens préludent aux ingénieuses analyses de La Rochefoucauld et de l’Ecole anglaise, s’efforçant de montrer que les actions aux dehors les plus désintéressés cachent au dedans d’elles la perpétuelle recherche de l’intérêt personnel. — Règle générale : “ On ne se dérobe à aucun plaisir qu’en vue d’obtenir un plaisir plus grand; on ne choisit aucune douleur que pour éviter des douleurs plus grandes[2]. ”

Le plaisir où Epicure place le souverain bien, c’est, nous venons de le voir, le plaisir le plus grand, le plus durable possible. Mais dans quelle espèce de plaisir trou-

  1. L. I, ch. x.
  2. L. I, ch. x, 36.