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car le vice de son discours passe jusqu’à la corruption des mœurs. Il ne blâme point la luxure, pourvu qu’elle se donne des bornes et qu’elle soit exempte de crainte. Il parait ici chercher des disciples. Faites-vous philosophes, dit-il aux hommes, et alors toutes les voluptés vous seront permises[1].

Selon lui, il faut remonter à la naissance des animaux pour trouver la source du vrai bien. Dès que l’animal est ne, il aime la volupté, il la désire comme un bien, et il craint la douleur comme un mal ; et c’est alors que, n’étant point encore dépravé, il juge parfaitement des biens et des maux. Voilà ce que vous avez dit, Torquatus ; et les vôtres parlent de même. Quelle illusion ! est-ce par la volupté stable, ou par la volupté en mouvement, termes que nous apprenons à l’école d’Épicure, qu’un enfant au berceau jugera du plus grand des biens et du plus grand des maux ? Si c’est par une volupté stable, la nature ne veut alors autre chose que sa propre conservation, et nous l’accordons. Si c’est, comme vous le dites, par une volupté en mouvement, il n’y aura point de volupté honteuse à laquelle il ne faille se livrer. Ajoutez que cet enfant nouvellement né n’aura point commencé par la souveraine volupté, qui est, selon vous, l’absence de la douleur.

Épicure même ne s’est jamais servi de l’exemple ni des enfants ni des bêtes, qu’il appelle le miroir de la nature, pour montrer que la nature nous a appris à désirer la volupté de n’avoir point de douleur : car cette sorte de volupté ne peut exciter aucun désir, et l’état de pure privation ne peut faire aucune impression dans l’esprit[2]. Sur ce point Hiéronyme

  1. Cicéron est-il de bonne foi ici ? Les anciens se croyaient permis, dans la discussion, ou, comme ils disaient, dans la “ dispute, ” d’interpréter ainsi en son plus mauvais sens la pensée de leurs adversaires.
  2. “ O la grande félicité dont jouissent ces gens-là, — dira Plutarque en parlant des Epicuriens, — s’éjouissant de ce qu’ils n’endurent point de mal ! N’ont-ils pas bien occasion de s’en glorifier en s’appelant égaux aux dieux immortels ! de jeter des cris de fureur, de se livrer à tous les transports des bacchantes, par la pensée de l’excellence des biens dont ils jouissent, parce que, à la honte de tous les autres mortels, ils ont seuls découvert un bonheur divin, qui consiste dans l’exemption de tout mal ! Ainsi leur félicité égale celle des moutons et des pourceaux, puisqu’ils la font consister dans les jouissances du corps ou dans celles de l’âme par le corps. Quant aux animaux qui sont un peu plus gentils