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du palais), mais parce qu'il compta ce plaisir pour peu de chose.

Pour te priser, oseille, on n'a qu'à te connaître,

S'écria tout d'un coup le sage Lélius ;

Et vous, dit-il, Gallonius,

Des gloutons le chef et le maître.

Vous vivez d'esturgeon, de morceaux délicats,

Tout votre bien s'épuise en bonne chère ;

Mais jamais vous n'avez su faire

Un véritable bon repas.

Comme Lélius ne place nul bien dans la volupté, il nie que celui qui fait tout consister dans la volupté ait jamais dîné bien. Il ne nie pas que Gallonius ait jamais dîné avec plaisir, - il ne le pourrait, - mais qu'il ait jamais dîné bien. En homme sage et austère, il distingue ce qui donne de la volupté d'avec ce qui est bon. Ainsi il est sûr que ceux qui font véritablement un bon repas mangent toujours avec plaisir ; mais ceux qui mangent avec plaisir ne font pas, pour cela, un repas qui soit véritablement bon. Quant à Lélius, il n'en faisait point qui ne le fussent.

Pourquoi cela ? Lucilius nous l'apprend. Tout y était “ bien cuit, bien apprêté ”. Mais quels étaient les principaux mets ? “ Des entretiens sages. ” Ensuite ? “ L'appétit. ” Il ne se mettait jamais à table que pour satisfaire, d'un esprit tranquille, à ce que demandait la nature. Il a donc raison de parler ainsi de Gallonius, dont la gourmandise se satisfaisait sans doute, mais sans faire un bon repas. Pourquoi ? parce que rien ne peut être bon que ce qui est raisonnable, frugal, honnête : or, tels n'étaient point les repas de Gallonius. Lélius ne préférait donc point le goût de l'oseille à celui de l'esturgeon ; mais il négligeait la délicatesse du goût ; ce qu'il n'aurait pas fait s'il avait mis le souverain bien dans la volupté.