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qui est conforme ou contraire à la nature. Les sens seuls doivent donc eu juger.

Mais les sens nous portent à rechercher le plaisir, à fuir la douleur. Comme on sent que le feu est chaud et que la neige est blanche, on sent immédiatement que le plaisir est à rechercher, que la douleur est à craindre, et tout animal, dès qu’il est né, aime l’un, hait l’autre.

Le plaisir est donc conforme à la nature, et la douleur lui est contraire. Or, ce qui est conforme à la nature est bien ; ce qui lui est contraire est mal. Le plaisir est donc le bien, et la douleur le mal. Ainsi « il suffit d’avoir des sens et de la chair pour que le plaisir apparaisse comme le bien[1]. »

Chez l’homme, selon Epicure, de la sensation et de la chair même l’âme et l’intelligence sont dérivées : à cette intelligence, produit complexe de la sensation, le plaisir apparaitra-t-il encore comme un bien ? — Sans doute, répondent les épicuriens. La raison, selon eux, est sur ce point impuissante à corrompre le témoignage des sens. Elle ne peut concevoir d’autre bien que le plaisir, et sous les idées diverses qu’elle se fait du bien suprême on pourrait toujours retrouver l’idée et la sensation primitives de plaisir. Au fond, l’intelligence, selon les épicuriens, étant le produit même de la sensation et se trouvant pour ainsi dire construite avec du plaisir et de la douleur, l’amour du plaisir, l’aversion pour la douleur lui sont naturels et innés : Hanc quasi naturalem atque insitam in animis nostris inesse notionem, ut alterum ase appetendum, alterum aspernandum sentiamus[2].

  1. L. I, ch. ix, 29, 31.
  2. L. I, ch. ix. 31.