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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. I.

c’est le principe qui agit en tout, et qui conserve tout. Que c’est ce fantôme de destin, par qui l’avenir est immuable. Que c’est le feu, et cet éther dont j’ai déjà parlé. Que ce sont aussi les éléments dont il est la source, et qui en découlent naturellement, l’eau, la terre, l’air. Que c’est le soleil, la lune, les autres astres, tout l’univers. Que ce sont les hommes qui jouissent de l’immortalité. Il soutient, de plus, que ce que nous appelons Jupiter, c’est l’éther ; Neptune, la mer ; Cérès, la terre ; et ainsi des autres Dieux. Il dit que Jupiter est aussi cette loi éternelle, invariable, qui est notre guide, et la règle de nos devoirs : loi qu’il appelle nécessité fatale, éternelle vérité des choses futures. Rien de tout cela n’est tel, qu’on le puisse regarder comme divin. Je ne fais pourtant rien dire à Chrysippe, qui ne soit dans le premier livre qu’il a écrit sur la nature des Dieux. Et à voir comment il veut, dans le second, accommoder les fables d’Orphée, de Musée, d’Hésiode, et d’Homère, avec tout ce qu’il a établi dans le premier, on dirait que le pur stoïcisme régnait parmi les plus anciens poètes, à qui jamais ces explications ne sont venues dans l’esprit. C’est ainsi que Diogène de Babylone, dans son livre intitulé Minerve, prétend expliquer physiquement, et d’une manière qui ne ressente point la fable, l’enfantement de Jupiter et la naissance de cette Déesse.

XVI. Telles sont donc les opinions des philosophes, ou, pour mieux dire, leurs rêveries. Car valent-elles mieux de beaucoup que les fables des poètes, qui, dans un langage d’autant plus dangereux qu’il est plein de grâces, nous ont représenté les Dieux enflammés de courroux, et passionnés jusqu’à la fureur ; ont dépeint leurs guerres, leurs démêlés, leurs combats, leurs blessures ; ont raconté leurs haines, leurs dissensions, leur naissance, leur mort, leurs chagrins, leurs plaintes, leurs voluptés de toute espèce, leurs adultères, leurs chaînes, leurs commerces impudiques avec le genre humain, d’où sortent des mortels engendrés par un immortel ? Aux erreurs des poètes ajoutons les folies des mages et celles des Égyptiens, avec les préjugés vulgaires, qui ne font que varier, parce que l’ignorance de la vérité rend le peuple incapable de fermeté dans sa croyance. Peut-on se défendre après cela de révérer Épicure, jusqu’à le compter lui-même pour une divinité, lorsqu’on voit que, parmi tant d’opinions si peu raisonnables, il a pensé juste sur ce qui concerne les Dieux ? Car il est le seul qui ait fondé leur existence sur ce que la nature elle-même grave leur idée dans tous les esprits. Sans avoir l’idée d’une chose, c’est-à-dire, sans en avoir une représentation mentale, vous ne sauriez la concevoir, ni en parler. Or quel peuple, quelle sorte d’hommes n’a pas, indépendamment de toute étude, une idée, une prénotion des Dieux ? Épicure, dans son divin livre De la règle et du jugement, fait sentir la force et l’utilité de ce principe, qui est le fondement sur lequel on établit tout ce qui regarde cette question.

XVII. En effet, puisque ce n’est point une opinion qui vienne de l’éducation, ou de la coutume, ou de quelque loi humaine ; mais une croyance ferme et unanime parmi tous les hommes, sans un seul d’excepté, c’est donc par des notions empreintes dans nos âmes, ou plutôt