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CICÉRON

nature se trouvant partout en abondance. Pour celles de la seconde classe, il croit également facile, ou de les satisfaire, ou de s’en passer. À l’égard des dernières, qu’il regarde comme frivoles, il les rejette absolument, par cette considération, qu’elles ne sont ni commandées par la nécessite, ni demandées par la nature. Et c’est ici que ses disciples font de grands raisonnements, qui tendent à rabaisser en détail chacune des volantes, dont ils ne méprisent pas le are, et qu’ils recherchent en gros. Touchant les obscènes, dont ils discourent fort au long, ils observent qu’il est aisé de se satisfaire à cet égard ; que si la nature, les demande, il faut moins s’arrêter à la naissance et au rang, qu’a l’âge et à la figure ; qu’il n’est pas difficile de s’en abstenir, si la santé, le devoir, ou la réputation l’exigent : et qu’enfin on peut bien se livrer à cette espèce de plaisir, si rien ne s’y oppose ; mais que l’usage n’en est jamais utile. Toute la doctrine d’Épicure sur ce point est que le plaisir mérite d’être toujours recherché pour lui-même, parce qu’il est plaisir ; et qu’on doit pareillement fuir toujours la douleur, parce qu’elle est douleur. Qu’ainsi le sage, mettant l’un et l’autre dans la balance, renoncera au plaisir, s’il en doit attendre une plus grande douleur, et recherchera la douleur, si elle doit lui procurer un plus grand plaisir. Il ajoute que tout, plaisir, quoique dérivé des sens, doit se rapporter à l’âme. Le corps, dit-il, n’est sensible qu’au plaisir présent : mais l’âme partage avec le corps un plaisir présent, jouit d’avance du plaisir qu’elle se promet, et retient en quelque sorte le plaisir passé par le souvenir qu’elle en conserve. Tellement qu’un homme sage se fait un tissu de plaisirs qui est sans fin. Pour les besoins ordinaires de la vie, Épicure, conformément aux mêmes principes, supprime le luxe et la magnificence de la table, parce que la nature se contente de peu.

XXXIV. Et qui n’éprouve pas en effet que l’appétit est le meilleur de tous les assaisonnements ? Darius, dans sa déroute, ayant bu d’une eau bourbeuse et infectée par des corps morts, avoua qu’il n’avait jamais goûté de boisson plus agréable : c’est que pour boire il n’avait jamais attendu qu’il fût pressé de la soif. On peut croire que Ptolémée, roi d’Egypte, en avait fait de même pour le manger, puisque, dans un voyage, se voyant contraint par l’éloignement de ses gens de manger dans une cabane du pain le plus grossier, il dit n’en avoir jamais trouvé de plus savoureux. Un jour que Socrate se promenait sur le soir à grands pas, quelqu’un lui en ayant demandé la raison ; « Je prépare, lui dit-il, pour mon souper le meilleur de tous les ragoûts, un bon appétit. » Vous savez ce qu’on servait aux Lacédémoniens dans leurs repas publics. Denys le tyran s’y étant trouvé, et ayant voulu goûter d’un ragoût fort noir, qui en faisait le mets principal, il le trouva détestable, « Je ne m’en étonne pas, » lui dit le cuisinier, « puisque -le meilleur assaisonnement y manque. » — « Quoi donc ? » — « La fatigue de la chasse, » répond le cuisinier, « l’exercice de la course aux bords de l’Eurotas, la faim et la soif. Voilà ce qui fait trouver nos sauces si bonnes » Vous avez, outre l’exemple des hommes, celui des animaux, car si on leur présente à manger quelque chose qui ne répugne pas à leur goût, ils s’en contentent sans rien chercher de plus. Vous avez des villes entières, qui, comme je le disais de Lacédémone,