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TUSCULANES, LIV. V.

consoler par cette réflexion, que les vives souffrances sont courtes, et que les Ion gués sont légères. Trouvez-vous que tous ces autres philosophes, qui font tant les merveilleux, nous donnent sur ces deux points de meilleures leçons ? Pour ce qui est des autres événements, qu’on met d’ordinaire nu rang des maux, nos docteurs me paraissent tous assez préparés à les supporter. Vous savez que la plupart des gens redoutent la pauvreté : mais je ne vois pas qu’aucun philosophe en soit effrayé ; non pas même Épicure.

XXXII. Car qui s’est contenté de moins que lui ? Qui a mieux prêché la sobriété ? On veut de l’argent pour avoir de quoi fournir à son ambition, à ses amours, aux dépenses journalières : mais l’homme qui ne connaît rien de tout cela, quel cas ferait-il de l’argent ? Pourquoi nos philosophes ne le regarderaient-ils pas du même œil que le Scythe Anacharsis, dont voici la lettre à un illustre Carthaginois, qui lui avait envoyé des présents : « Anacharsis à Hannon, salut. Il ne me faut qu’un habit de peau, à la mode de mon pays. La plante de mes pieds me sert de souliers, et la terre de lit. Mes mets sont du lait, du fromage et de la viande. Mon assaisonnement est la faim. Si tu aimes la tranquillité, tu peux la venir chercher chez moi. Pour ce qui est des choses dont il t’a plu de me régaler, et dont tu fais tant de cas, garde-les pour tes concitoyens, ou pour les Dieux immortels. » Presque aucun philosophe, de quelque secte que ce soit, n’a pensé autrement sur les richesses, à moins qu’un naturel vicieux ne l’empêchât de suivre la raison. Socrate assistant à une cérémonie, où l’on avait étalé beaucoup d’or et d’argent : Que voilà de choses, s’écria-t-il, que je ne désire point ! Alexandre avait ordonné qu’on présentât de sa part à Xénocrate cinquante talents ; somme alors très-considérable, et surtout à Athènes. Xénocrate invita ces ambassadeurs à souper dans l’Académie, et leur fit servir un repas où il n’y avait que le pur nécessaire, sans aucun appareil ; et quand le lendemain ils voulurent lui faire compter les cinquante talents : Hé quoi ! leur dit-il, ne vous aperçûtes-vous pas hier, à la frugalité de ma table, que l’argent m’était inutile ? Cependant, comme ii les vit contristés de cette réponse, il voulut bien accepter trente mines, pour ne pas paraître dédaigner les présents d’un roi. Diogène, en qualité de Cynique, répondit encore avec plus de liberté à ce grand prince, qui lui demandait, s’il n’avait besoin de rien : Je souhaite seulement, lui dit-il, que tu te détournes un peu de mon soleil ; lui donnant à entendre qu’il l’empêchait d’en sentir les rayons. Aussi ce philosophe, pour montrer combien il avait raison de s’estimer plus que le roi de Perse, faisait-il quelquefois ce raisonnement : Je ne manque de rien ; et il n’a jamais assez. Je ne me soucie pas de ses voluptés ; et il ne saurait s’en rassasier. Enfin, j’ai des plaisirs auxquels il ne peut jamais atteindre.

XXXIII. Vous n’ignorez pas sans doute en combien de classes Epicure a distingué les cupidités de l’homme. Sa division peut n’être pas fort juste, mais elle a son utilité. Il en reconnaît de naturelles, et qui sont nécessaires en même temps ; d’autres naturelles, et non nécessaires ; d’autres encore, qui ne sont ni l’un ni l’autre. Quant aux nécessaires, il ne faut presque rien, selon lui, pour les contenter ; les trésors de la