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CICÉRON

emporterait le second, quand même on ajouterait à ce dernier la terre et les mers.

XVIII. Quelle raison a donc pu empêcher le même Critolaus, et cet autre grand philosophe Xènocrate, qui exalte si Fort la vertu, et qui déprise tant tout le reste, d’avouer qu’elle nous rend non-seulement heureux, mais même parfaitement heureux ? Toutes les vertus, si eela est faux, sont anéanties. Car quiconque est susceptihle de Chagrin . l’est aussi de crainte : la crainte n’étant que l’attente inquiète d’un chagrin. Or l’homme susceptihle de crainte, l’est aussi d’effroi, de timidité, de peur, de lâcheté ; prêt à succomber dans l’occasion, et ne croyant point que ce précepte d’Atrée soit fait pour lui :

Qu’aux caprices du sort préparés des longtemps,
Leurs cœurs, sans s’ébranler, éprouvent les plus grands.

Il succombera, dis-je, et non-seulement il sera vaincu, mais il acceptera l’esclavage. Pour nous, nous demandons que la vertu soit toujours libre, toujours indomptable. Autrement la vertu n’est rien. Mais s’il est vrai qu’elle suffise pour bien vivre, elle suffit aussi pour vivre heureux : car elle suffit, certainement, pour nous inspirer du courage. Avec du courage, on a de la grandeur d’âme ; on ne se laisse ni effrayer, ni abattre ; on ne connaît ni repentir, ni besoin, ni obstacle ; on est toujours dans l’abondance et dans la prospérité. On est donc heureux, et il ne faut pour cela qu’avoir du courage. Donnez a la folie tout ce qu’elle désire, elle croira n’avoir pas encore assez : la sagesse au contraire, toujours contente de ce qu’elle possède actuellement, ne murmure jamais de son sort.

XIX. Vous savez que Lélius n’a été consul qu’une seule fois ; et ce ne fut même qu’après avoir essuyé un refus (si cependant, lorsqu’un homme tel que lui n’a pas les suffrages, le contre-coup ne retombe pas uniquement sur un peuple qui ne sait ce qu’il veut) : mais enfin, maître de choisir entre l’unique consulat de Lélius, et les quatre de Cinna, dites-moi, que feriez-vous ? Je sais à qui je parle, et ce que vous répondiez à ma question. Je ne la ferais pas à tout le monde, car peut-être y a-t-il des gens qui ne rougiraient pas de préférer, je ne dis pas les quatre consulats de Cinna, mais un des jours de sa tyrannie, à la vie entière de plusieurs grands hommes. Lélius aurait subi la peine des lois, s’il avait traité un citoyen avec la moindre dureté. Cinna, au contraire, lit couper la tête non-seulement à Octavius son collègue, mais encore à Crassus et à César, deux hommes illustres, dont la vertu s’était signalée tant au sénat que dans nos armées ; à Marc Antoine, l’homme le plus éloquent de notre siècle, et à César, qui était la douceur, la bonté même, et un parfait modèle de politesse et d’enjouement. Vous paraît-il avoir été heureux, pour avoir fait de tels meurtres ? Je le trouve malheureux, non-seulement en ce qu’il les a faits, mais encore en ce qu’il lui a été permis de les faire. Quand je dis permis, c’est une façon de parler impropre ; car il n’est jamais permis de faire le mal : mais j’appelle permis, ce qu’on peut faire impunément.