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TUSCULANES, LIV. V.

composée de fous et de scélérats. On y mettrait aussi de bien moindres agréments : de belles dents, de beaux yeux, un teint frais, et ce que louait dans Ulysse sa nourrice Euryclée, en lui lavant les pieds,

La voix douce et touchante, et le corps potelé.

Par où le philosophe, s’il compte cela pour des biens, fera-t-il croire qu’il ne donne pas dans les visions d’un vulgaire insensé ? Mais, me direz-vous, quoique les Stoïciens n’accordent pas le nom de biens à ces sortes de choses, ils les regardent comme des avantages. D’accord : mais ils nient que ces avantages contribuent au bonheur de l’homme ; au lieu que les Péripatéticiens les y croient nécessaires, du moins pour le rendre parfait. Et nous, au contraire, nous le croyons parfait sans cela : fondés sur ce raisonnement de Socrate, le chef des philosophes. « Tel, dit-il, qu’est le cœur de l’homme, tel est l’homme. Tel est l’homme, tels sont ses discours. Tels sont ses discours, telles sont ses actions, telle est sa vie. Or le cœur de l’homme de bien est louable : sa vie l’est donc aussi : elle est donc honnête, puisqu’elle est louable : et de là il s’ensuit que l’homme de bien est heureux. » Que je sache de vous, au nom des Dieux, si vous prenez pour un simple amusement nos derniers entretiens ; ou si vous regardez comme un principe bien établi, que le sage n’écoute point les passions, et qu’il règne une éternelle paix dans son âme. Or l’homme qui est modéré, constant, exempt de crainte, de chagrin, de folle joie et de toute cupidité, c’est-à-dire, l’homme qui est sage, peut-il n’être pas heureux ? Un homme de bien ne rapporte-t-il pas à une fin digne de louange toutes ses actions, toutes ses pensées ? Que prétend-il ? être heureux. Or il n’y a que la vertu qui soit digne de louange. Ainsi c’est la vertu seule qui conduit au bonheur.

XVII. On le prouve encore de cette autre manière. Une vie malheureuse, ou qui n’est ni heureuse, ni malheureuse, n’offre rien dont il soit beau de se glorifier. Quelquefois pourtant il y a des personnes qui se glorifient, et avec raison, comme Épaminondas, lorsqu’il disait :

Thèbes par mes conseils a triomphé de Sparte,

Ou l’Africain, de qui l’on a dit :

De l’Aurore au couchant, il n’est point de guerriers
Dont le front soit couvert de si nobles lauriers.

On doit, cela étant, regarder la vertu comme une chose dont il est permis, dont il est juste de se glorifier : et c’est même la seule dont l’honnête homme fasse gloire. Vous voyez ce qui s’ensuit de là. Que la vertu ne soit point la source du bonheur : il y aura donc quelque chose de préférable au bonheur, puisque la vertu méritera sans doute la préférence, et de l’aveu même de nos adversaires. Or n’est-ce pas la dernière des absurdités, de vouloir que l’homme préfère quelque chose à son bonheur ? Puisqu’ils avouent que le vice seul suffit pour nous rendre malheureux, peuvent-ils nier que la vertu ait la même force pour nous rendre heureux ? C’est ici la règle des contraires. J’en appelle à la fameuse balance de Critolaus, où il prétendait, que si d’un Côté on mettait les bonnes qualités de l’âme, et de l’autre non-seulement celles du corps, mais encore les autres biens étrangers, le premier côté