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CICÉRON

noblement : ne se trouvera-t-il pas une âme de cette trempe ? Au courage, dont je parle . si vous joignez une tempérance qui tienne en bride vos passions, que manquera-t-il à votre félicité ? D’une part, le courage vous fait dompter le chagrin et la crainte : de l’autre, la tempérance amortit la cupidité, et retient les saillies d’une folle joie. C’est là ce qu’opère la vertu. Je m’arrêterais à le prouver, si ce n’était chose déjà faite dans mes discours précédents.

XV. Puisque les passions nous rendent donc malheureux, et que la paix de l’âme fait un effet contraire : les passions étant un égarement de notre raison, doublement séduite, tantôt par de prétendus maux qui nous jettent dans la triste ou dans la crainte ; tantôt par de faux biens qui excitent de violents désirs ou de vains transports de joie : quand vous verrez un homme libre et de toutes ces sortes d’agitations, si opposées les unes aux autres, hésiterez-vous à le croire heureux ? Or telle est toujours la situation du sage : donc le sage est toujours heureux. Ajoutons que tout bien est agréable. Tout ce qui est agréable mérite de l’estime. Tout ce qui mérite de l’estime, est glorieux, est louable, et par conséquent honnête. Tout bien est donc honnête. Or ceux même qui admettent trois sortes de biens, ne disent pas de tous les trois qu’ils soient honnêtes. Ainsi l’honnête est le seul bien. Ainsi l’honnête seul est ce qui nous rendra heureux. On ne doit donc pas donner le nom de bien à des choses dont l'affluence n’empêche pas d’être malheureux. Représentez- vous un homme qui possède au suprême degré la santé, la vigueur, la beauté, la vivacité des sens. Ajoutez-y, si vous voulez, la souplesse et la légèreté du corps. Comblez cet homme de richesses, d’honneurs, de royaumes, de puissance, et de tout ce qu’il y a de plus éclatant. Si en même temps il se trouve injuste, intempérant, timide, avec peu ou point d’esprit, ferez- vous difficulté de le tenir pour malheureux ? Quelle sorte de biens est-ce donc là, que des biens qui n’empêchent pas qu’on ne puisse être infiniment à plaindre ? Comme un tas de blé n’est composé que de grains d’une même espèce, aussi le bonheur est-il un tout, dont les parties doivent se ressembler. Or il n’y a que l’honnête qui fasse le bonheur. Quand vous y mêlerez quelque chose d’un genre différent, il n’en saurait résulter un tout, qui soit honnête, ni par conséquent, qui puisse servir à nous rendre heureux. Tout bien est désirable. Tout ce qui est désirable doit être approuvé. Tout ce que vous aurez jugé digne d’approbation doit plaire. Tout ce qui peut vous plaire doit avoir un mérite réel. Donc il est digne de louange. Or il n’y a que l’honnête qui soit digne de louange. Donc il n’y a de bien que ce qui est honnête.

XVI. Autrement vous appellerez biens une infinité de choses au nombre desquelles je ne mets pas les richesses, puisque tout homme, même le moins digne, peut en acquérir, et que le vrai bien n’est pas indifféremment pour toute sorte de gens. Je n’y mets pas non plus la célébrité, et les applaudissements qu’on peut obtenir du peuple, c’est-à-dire, d’une multitude