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CICÉRON

chacun tombe sur lui, pour avoir enseigné dans son livre de la Vie heureuse, que celui qui est dans les souffrances, et à la torture, ne peut être heureux. On l’accuse même d’y avoir dit, au moins en termes équivalents, que la félicité n’était jamais montée sur la roue. Comme si, après lui avoir passé que les douleurs du corps et les revers de la fortune doivent être mis au rang des maux, on pouvait lui savoir mauvais gré de soutenir que l’on peut donc être vertueux, sans être heureux ; puisque la vertu ne met pas à l’abri des maux dont je viens de parler. Toutes les écoles se sont élevées contre lui, pour avoir loué dans son Callisthène cette sentence :

Le sort règle nos jours, plutôt que la sagesse.

Jamais rien de si lâche, dit-on, n’est sorti de la bouche d’un philosophe. Je l’avoue ; mais rien aussi de plus conséquent. Car puisqu’il y a tant de biens qui appartiennent au corps, et faut d’autres qui dépendent du hasard, n’est-il pas évident que l’empire de la fortune, qui dispose des uns et des autres, est plus étendu que celui de la sagesse ? Aimons-nous mieux imiter Épicure, qui souvent dit de bonnes choses, sans trop s’embarrasser si elles cadrent à ses principes ? Par es pie, il loue la frugalité : et cela est vraiment d’un philosophe ; mais conviendrait à un Socrate, à on Antisthène ; non à un homme qui met le souverain bien dans la volupté. Il nie que la vie puisse être agréable, si elle n’est conforme à l’honneur, à la sagesse, a la justice. Rien de plus grave, rien de plus digne de la philosophie ; si tout ce qu’il dit de l’honneur, de la sagesse, et de la justice, il ne le rapportait pas au plaisir. Qu’il dise que la fortune a peu de part aux affaires du sage, rien de mieux. Mais quelqu’un qui regarde la douleur non-seulement comme le plus grand des maux, mais comme le seul que nous ayons à craindre, doit-il braver ainsi la fortune, tandis qu’elle peut l’accabler en un instant des plus vives douleurs ? Que Métrodore s’écrie avec grâce : « Fortune, tu as beau faire. Je suis inaccessible à toutes tes attaques. J’ai fermé, j’ai fortifié toutes les avenues par où tu pouvais venir à moi : » cela serait beau dans la bouche d’un Ariston de Chio, ou du Stoïcien Zénon, qui ne regardent comme mal que ce qui n’est pas honnête. Mais t’appartient-il de parler ainsi, Métrodore, toi qui renfermes le souverain bien dans tes entrailles, et qui le fais dépendre d’une santé ferme, dont tu peux être privé dans le moment par cette même fortune, à qui tu te vantes d’avoir fermé toute entrée ?

X. Voilà pourtant ce qui séduit les ignorants : et ce sont ces belles sentences qui attirent la multitude. Mais ceux qui savent raisonner ne s’attachent pas à ce qu’on dit ; ils examinent ce qu’on doit dire. Quand j’avance ici cette proposition, Que tous les gens de bien sont heureux, il faut peser mes termes. Far celui de gens de bien, il est clair que j’entends ceux qui réunissent toutes les vertus. Par celui d’heureux, j’entends ceux qui possèdent tous les biens, sans aucun mélange de maux. Car je ne crois pas que la félicité nous présente d’autre notion que l’assemblage de tous les biens, à l’exclusion de tous les maux. Or c’est vainement que la vertu y aspirerait, si hors d’elle