Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/61

Cette page n’a pas encore été corrigée
51
TUSCULANES, LIV. V.

de ces armées prodigieuses, et de ces vaisseaux sans nombre qui obéissaient à ses ordres, non content de ses trésors inépuisables, proposa une récompense à qui pourrait lui enseigner un nouveau genre de volupté 5 et après toutes ses recherches, il ne put encore trouver le secret de se satisfaire, parce que la soif du plaisir est insatiable. Je voudrais, moi, donner un prix à qui trouverait des raisons encore plus fortes, pour mettre hors de doute la thèse que je défends.

VIII. L’a. Je le voudrais comme vous, quoiqu’il me reste peu d’éclaircissements à vous demander. Car je conviens que vous raisonnez conséquemment, et que s’il n’y a rien de bon que ce qui est honnête, notre bonheur consiste à être vertueux : d’où il s’ensuit que la vertu seule est notre souverain bien. Mais ce n’est pas là le sentiment de votre ami Brutus ; car il croit, comme ses maîtres, Ariste et Antiochus, que la vertu n’exclut pas tout autre bien, quoiqu’elle suffise pour nous rendre heureux. G. Hé quoi ! voudriez-vous me mettre aux mains avec Brutus ? L’a. Vous ferez sur cela ce qu’il vous plaira. Je n’ai rien à vous prescrire. C. Une autre fois nous verrons lequel de nous deux est le plus fidèle à ses principes. J’ai souvent disputé là-dessus, et contre Antiochus, et contre Ariste, lorsque dernièrement je logeai chez lui à Athènes, en revenant de mon gouvernement. Je leur soutenais que quiconque éprouve de vrais maux ne peut être heureux : et que par conséquent, si les douleurs du corps ou les revers de la fortune sont de vrais maux, le sage n’en est pas à l’abri. À cela ils me répondaient, ce qu Antiochus a dit fort au long dans ses écrits, que la vertu par elle-même suffit pour rendre l’homme heureux, mais non heureux suprême degré. Que la plupart des choses reçoivent leur dénomination de ce qui en compose la plus grande partie, quoiqu’il y manque quelque point ; comme quand on parle des forces, de la santé, des richesses, des honneurs, de la gloire : toutes choses dont on juge par le genre, et non par le plus ou le moins. Qu’ainsi la félicité, pour manquer de quelques biens, lorsqu’elle en possède les principaux, n’en est pas moins félicité. Quant à présent, il serait assez inutile d’approfondir système, où je trouve une contradiction manifeste. Je n’entends pas bien, en effet, comment celui qui est heureux pourrait avoir quelque chose de plus à désirer. Car, si quelque chose lui manque, il n’est pas heureux. Et quand on dit que les choses reçoivent leur dénomination de ce qui en compose la meilleure partie, cela n’est vrai qu’en certains cas. Puisque ces philosophes admettent trois sortes de maux, supposons un homme dans qui les maux du corps, et ceux qui sont des coups de la fortune, soient réunis au plus haut degré ; soutiendra-t-on qu’il lui manque peu de chose pour être, je ne dis pas souverainement, mais même simplement heureux ? Voilà où Théophraste a échoué. Après avoir reconnu que les supplices, les souffrances, la ruine de la patrie, l’exil, la perte des enfants, pouvaient faire le malheur de la vie ; il n’a osé, avec un sentiment bas et rampant, allier un langage mâle et noble.

IX. Que ses principes soient justes, c’est une autre question : mais du moins il ne s’en écarte pas ; et je n’aime point qu’on attaque les conséquences, quand on a passé les principes. On n’arrête point le plus savant des philosophes, et celui qui écrit avec le plus d’élégance, sur la distinction qu’il fait des trois sortes de biens : et