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CICÉRON

à voir ce qui s’y passe, et à faire leurs réflexions sur ce qui s’y présente à leurs yeux. On en peut dire autant de tous les hommes, qui, passant d’une autre vie en celle-ci, comme on passe d’une ville ou d’une assemblée dans une autre, y apportent tous des vues différentes. Car tandis que les uns cherchent la gloire, et les autres les richesses, il y a une troisième espèce d’hommes, mais peu nombreuse, qui, regardant tout le reste comme rien, s’appliquent principalement a la contemplation des choses naturelles. Ce sont ces derniers qui se disent philosophes, c’est-à-dire, amateurs de la sagesse. Et comme à l’égard des jeux, il n’est rien de si honnête que d’y assister sans aucune vue intéressée, de même en ce monde la profession la plus noble est celle d’une étude qui n’a d’autre but que de parvenir à la connaissance de toutes choses. »

IV. Pythagore n’inventa pas seulement le nom de la philosophie ; il contribua fort à la répandre, lorsqu’étant venu dans cette partie de l’Italie, qu’on appelait la Grande Grèce, il y donna des leçons, soit publiques, soit particulières, sur ce que les sciences et les arts ont de plus utile. J’aurai peut-être occasion d’entrer là-dessus une autre fois dans quelque détail. Il me suffit ici de dire, que jusqu’à Socrate, disciple d’Archélaüs, qui l’avait été d’Anaxagore, la philosophie ancienne se contentait d’enseigner la science des nombres, les principes du mouvement, et les sources de la génération et de la corruption de tous les êtres. À quoi elle joignait des observations exactes sur la grandeur, les distances et le cours des astres, et sur tout ce qui regarde les choses célestes. Socrate fut le premier qui fit, pour ainsi dire, descendre la vraie philosophie du ciel, et l’introduisit, non-seulement dans les villes, mais jusque dans les maisons, en faisant que tout le monde discourût sur ce qui peut servir à régler la vie, à former les mœurs, et à distinguer ce qui est bien, ce qui est mal. Ses diverses manières de raisonner, la variété des choses qu’il a traitées, et l’étendue de son génie, si bien représentée dans les écrits de Platon, firent naître différentes sectes. Dans celle que j’ai préférée, et qui me paraît la plus conforme au goût de Socrate, il ne s’agit point de s’ouvrir sur ce qu’on croit, mais bien plutôt de montrer aux autres qu’ils se trompent, et de chercher sur chaque matière à voir de quel côté est la vraisemblance. Ainsi en usait Carnéade, avec tout l’esprit et avec toute l’éloquence possibles ; je me suis exercé en ce genre plus d’une fois, et depuis peu encore dans mes conférences de Tusculum. Vous avez déjà, mon cher Brutus, le résultat des quatre premières. Quand, le cinquième jour, on se fut rendu au lieu de la dispute, le sujet me fut ainsi proposé :

V. L’a. J’ai peine à croire que la vertu suffise pour rendre l’homme heureux. C. Telle est pourtant l’opinion de Brutus, dont vous me permettrez de préférer l’autorité à la vôtre. L’a. Cette préférence ne me surprend point. Mais il n’est pas question ici de la préférence que l’amitié vous fait avoir pour ses sentiments : il s’agit de ma thèse, et de voir si vous êtes en état de la combattre. C. Vous niez donc que la vertu suffise pour nous rendre heureux. L’a. Je le nie absolument. C. Quoi ! ne convenez-vous pas que tous les secours nécessaires pour vivre en honnêtes as, la vertu nous les fournit ? L’a. J’en demeure d’accord. C. Pouvez-vous donc ne pas regarder comme malheureux celui qui vit mal ; et comme