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TUSCULANES, LIV. V.

aujourd’hui tout entiers, et sans réserve. Un seul jour, passé suivant tes préceptes, est préférable à l’immortalité de quiconque s’en écarte. Quelle autre puissance implorerions-nous plutôt que la tienne, qui nous a procuré la tranquillité de la vie, et qui nous a rassurés sur la crainte de la mort ? On est bien éloigné, cependant, de rendre à la philosophie l’hommage qui lui est dû. Presque tous les hommes la négligent : plusieurs l’attaquent même. Attaquer celle à qui l’on doit la vie, quelqu’un ose-t-il donc se souiller de ce parricide ? Porte-t-on l’ingratitude au point d’outrager un maître qu’on devrait au moins respecter, quand même on n’aurait pas trop été capable de comprendre ses leçons ? J’attribue cette horreur à ce que les ignorants ne peuvent, au travers des ténèbres qui les aveuglent, pénétrer dans l’antiquité la plus reculée, pour y voir que les premiers fondateurs des sociétés humaines ont été des philosophes. Quant au nom. il est moderne ; mais pour la chose même, nous voyons quelle est très-ancienne.

III. Car qui peut nier que la sagesse n’ait été connue anciennement, et déjà nommée de ce beau nom, par où l’on entend la connaissance des choses, soit divines, soit humaines ; de leur origine, de leur nature ? Voilà ce qui fit autrefois donner le nom de sages à ces sept Grecs si fameux. Plusieurs siècles auparavant, Rome n’étant pas encore, il avait été donné à Lycurgue, contemporain d’Homère, et plus anciennement encore à Ulysse, et à Nestor, clans les temps héroïques. D’ailleurs, quand on a dit qu’Atlas portait le ciel sur ses épaules, que Prométhée avait été attaché sur le Caucase, et que tant Céphée, que sa femme, son gendre et sa fille, brillaient au nombre des astres ; quelle raison aurait pu donner cours à ces opinions, si la science divine de l’astronomie, qui avait fait admirer ces grands personnages, n’eût servi de prétexte à ceux qui ont imaginé ces fables ? Par la même raison, sans doute, tous ceux qui se sont attachés depuis aux sciences contemplatives, ont été tenus pour Sages, et ont été nommés tels, jusques au temps de Pythagore, qui mit le premier en vogue le nom de philosophes. Héraclide de Pont, disciple de Platon, et très-habile homme lui-même, en raconte ainsi l’histoire. Un jour, dit-il, Léon, roi des Phliasiens, entendit Pythagore discourir sur certains points avec tant de savoir et d’éloquence, que ce prince, saisi d’admiration, lui demanda quel était donc l’art, dont il faisait profession ? À quoi Pythagore répondit, qu’il n’en savait aucun ; mais qu’il était philosophe. Et sur ce que le roi, surpris de la nouveauté de ce nom, le pria de lui dire, qui étaient donc les philosophes, et en quoi ils différaient des autres hommes ; « Il en est, répondit Pythagore, de ce monde, et du commerce de la vie, comme de ces grandes assemblées, qui se tiennent parmi nous à l’occasion des jeux publics. On sait que dans le concours de ceux qui s’y rendent, il y a des gens qui n’y sont attirés que par l’envie de se distinguer dans les exercices du corps, et d’y mériter la couronne ; d’autres, qui n’y sont conduits que par l’espoir d’y faire quelque profit, en vendant ou en achetant des marchandises ; d’autres encore, qui, pensant plus noblement, n’y vont chercher ni profits, ni applaudissements, mais songent uniquement