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TRAITÉ DE L'AMITIÉ


pratiquer la vertu, sans laquelle l’amitié est impossible, et tous les vrais biens hors de notre atteinte. »


On pourrait faire plus d'un rapprochement entre Cicéron et Montaigne ; leurs caractères, leurs talents, leurs idées, se ressemblent. Plus d'une fois, en traduisant le premier, nous avons regretté de ne pas avoir la plume du second. Nous ne voulons pas comparer ici les deux écrivains, mais à propos du dialogue de l'Amitié, il était impossible de ne pas relire le beau chapitre de Montaigne. Nous croyons que tout le monde nous imitera et pensera comme nous que s'il y a plus d'élévation dans le discours de Lélius, l'ami de la Boëtie a dans son langage quelque chose de plus vif, de plus touchant, et que l'inspiration de l'amitié s'y fait mieux sentir. Nous voudrions citer le chapitre tout entier, mais il suffit de quelques lignes pour en faire comprendre le charme inexprimable.

« Le feu de l'amour, je le confesse, est plus actif, plus cuisant et plus âpre ; ... en l'amitié, c'est une chaleur générale et universelle, tempérée, au demeurant, et égale ; une chaleur constante et rassise, toute douceur et polissure, qui n'a rien d'âpre et de poignant. L'amitié est jouie à mesure qu'elle est désirée; ne s'éleve, se nourrit, ni ne prend accroissance qu'en la jouissance, comme étant spirituelle, et l’âme s'affinant par l'usage. Sous cette parfaite amitié, ces affections volages ont autrefois trouvé place chez moi, afin que je ne parle de lui, qui n'en confesse que trop par ses vers : ainsi ces deux passions sont entréees chez moy en connaissance l’une de l'autre, mais en comparaison, jamais ; la première maintenant sa route d'un vol hautain et superbe, et regardant dédaigneusement cette-ci passer ses pointes bien loin au-dessous d'elle.

« Au demeurant, ce que nous appelions ordinairement amis et amitié, ce ne sont qu’accointances et familiarités, nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s'entretiennent. En l'amitié de quoy je parle, elles se mêlent et confondent l'une en l'aultre d'un mélange si universel, qu'elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : « Parce que c'était lui ; parce que c'était moi. » Il y a, au delà de tout mon discours et de ce que j'en puis dire particuliè- rement, je ne sais quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union. Nous nous cherchions avant que de nous être vus, et par des rapports que nous oyions l'un de l'aultre, qui qfaisaient en notre affection plus d'effort que ne porte la raison des rapports, je crois par quelque ordonnance du ciel. Nous nous embrassions par nos noms : et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si obligés entre nous, que rien dès lors ne nous fut si proche que l'un à l'autre. »

Il est vrai que Cicéron a dit le premier : « C'est ôter au monde le soleil, que d’ôter de la vie l'amitié, le plus doux, le plus beau présent que nous ayons reçu des Dieux immortels. »

LÉLIUS,

ou

DIALOGUE SUR L'AMITIÉ.

A T. POMPONIUS ATTICUS

I. Q. Mucius l'augure se plaisait à raconter avec beaucoup d'agrément mille choses de son beau- père C. Lélius , qu'à tout propos il n'hésitait pas à appeler le sage. Pour moi, dès que j'eus pris la robe virile, mon père me confia si complètement à Scévola, que je ne devais quitter les côtés de ce vieillard qu'autant que la nécessité et la convenance m'y contraindraient. Je recueillais avec soin tous ses sages discours, toutes ses précieuses maximes, et je demandais sans cesse des lumières à son expérience. Lorsqu'il mourut, je m'attachai à Scévola le pontife, que je déclare sans crainte l'esprit le plus éminent et l'âme la plus droite de Rome entière. Mais j'en parlerai plus tard : revenons à l'augure. Je me souviens, entre autres choses, qu'un jour assis, selon sa coutume, dans son hémicycle, au milieu de quelques amis dont je faisais partie, il tomba sur un sujet dont tout le monde s'entretenait alors. Sans doute, Atticus, vous surtout qui avez eu avec P. Sulpicius de fréquentes relations, vous vous souvenez de la haine mortelle que voua à Pompée, consul à cette époque, ce tribun du peuple qui d'abord lui avait été uni par les liens de la plus vive amitié, et vous savez quelle surprise et quel mécontentement éclatèrent de toutes parts. Scévola étant venu à parler de cette rupture, nous

L.ELIUS,

Sivr: DE AMICITIA DIALOGUS.

]. Q. Mucius augur multa narrare de C. Laelio sorero memoriter etjucunde solebat, nec dubitare illum in i sermone appellare sapienlem. Ego antein a pâtre ila eram deductus ad Scaevolam , sumpta virili toga , ut, quoad m et li<:eret,a senis latereniinquanidiscndercm. Ita- que multa ab eo prudenter dispulata, multa [etiam] bre- viier et commode dicta mémorise mandabam, liericpie stu- debaii) ejus prudentia doctior. Quo mortuo, me ad ponti- ficem Scaevolam conluli , qnem unum nostrae civitatis et iugenio etjustitia prœstantissîmum audeo dicere. Sed d/j hoc alias : nunc redeo ad augurem. Qmim soepe multa, tum merainî domi in hemicyclio sedentem, ut solebat, quum et ego essem una et pauci admodum familiares, in eum sermoncm illum incidere, qui tum fere [omnibus] erat in ore. Meministi enim profecto , Attice, et eo magis , quod P. Sulpicio utebare multum, quum is tribiinus pic bis (a- pitali odio a Q. Pompeio, qui lumerat consul, dissident, quoeum conjunctissime et amantissime vixerat, quanta esset hominuinvelathniratiovelquerela Itaque tum Safi- vola, quum in a.m ipsam mentionem incidisset, exposait