Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/551

Cette page n’a pas encore été corrigée

court instant, et surtout au vieillard ; mais après la mort, ou nous n’aurons plus de sentiment, ou nous goûterons une pure félicité. Ce sont là des pensées qu’il faut méditer dès son enfance pour apprendre à mépriser la mort : sans cette méditation, la paix fuira toujours notre esprit. Nous devons mourir, voilà qui est certain, et nous ne savons si ce n’est pas aujourd’hui même. La mort est à toute heure suspendue sur nos têtes ; si vous la redoutez, comment aurez-vous un seul moment de repos ? Mais je ne crois pas qu’un long discours soit nécessaire pour nous armer contre elle, quand je me remets en mémoire, non pas seulement L. Brutus, qui fut tué en combattant pour la liberté de sa patrie ; les deux Décius, qui lancèrent leurs chevaux dans les rangs ennemis pour y chercher la mort ; M. Atilius, qui alla s’offrir aux supplices, pour tenir la parole qu’il avait donnée aux ennemis ; non pas seulement les deux Scipions, qui voulurent que les Carthaginois ne pussent s’avancer vers Rome qu’en passant sur leurs corps ; ou L. Paul-lus, votre aïeul, qui paya de sa tète la témérité de son collègue à l’ignominieuse journée de Cannes ; ou bien encore M. Marcellus, à qui le plus cruel de tous nos ennemis ne put refuser les honneurs de la sépulture ; mais des légions entières, comme je lai rapporté dans mes Origines, qui couraient avec enthousiasme se jeter dans des périls d’où elles pensaient ne jamais revenir. Cette mort que des jeunes gens, des esprits incultes et grossiers savent si bien mépriser, des vieillards éclairés la redouteraient-ils ? C’est, selon moi, la satiété de tous les goûts qui fait la satiété de la vie. L’enfance a ses goûts à elle ; voyons-nous que la jeunesse les partage ? La jeunesse à son tour a les siens ; l’âge mûr les lui envie-t-il ? et ceux de l’âge viril sont-ils regrettés par la vieillesse ? Nous enfin, nous avons nos goûts ; ils s’épuisent et passent comme ceux des autres âges ; et alors la satiété de la vie fait l’opportunité de la mort.

XXI. Je ne vois pas pourquoi je ne m’enhardirais pas à vous dire tout ce que je pense de la mort ; j’en suis si près, que je crois pouvoir en bien juger. Ma pensée est donc que votre père, Scipion, et le vôtre aussi, Lélius, ces deux hommes illustres et que j’aimais tendrement, vivent | aujourd’hui, et de la seule vie qui mérite de porter ce nom. Tant que nous sommes renfermés dans les liens du corps, nous avons à remplir de dures fonctions, et nous sommes en quelque façon sous la verge de la nécessité ; car notre âme, d’origine céleste, est déchue de sa première gloire et comme précipitée sur la terre, dans la condition la plus indigne de sa divine nature, la moins faite pour un être éternel. Mais je crois que les Dieux ont attaché des âmes aux corps humains pour donner à la terre des génies protecteurs, et pour qu’il y eût des intelligences capables de contempler l’ordre des sphères célestes, et de l’imiter par la parfaite régularité de leur vie. Ce ne sont pas seulement mes réflexions qui m’ont conduit à cette croyance, mais l’autorité des plus célèbres philosophes. J’avais appris que Pythagore et les Pythagoriciens, qui étaient presque nos compatriotes, et que l’on appelait autrefois philosophes italiques, tenaient pour certain que nos âmes sont des parcelles divines d’une grande âme universelle ; je lisais tout ce