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TUSCULANES, LIV. V.

physionomiste, l’ayant examiné devant une nombreuse compagnie, fit le dénombrement des vices qu’il découvrait en lui : et chacun se prit à rire, car on ne voyait rien de tout cela dans Socrate. Il sauva l’honneur de Zopyre, en déclarant que véritablement il était porté à tous ces vices, mais qu’il s’en était guéri avec le secours de la raison. Quelque penchant qu’on ait donc pour tel ou tel vice, on est cependant maître de s’en garantir : de même qu’on peut, quoique né avec des dispositions à certaines maladies, jouir d’une bonne santé. À l’égard des vices qui viennent purement de notre faute, et non d’un penchant naturel, ne les imputons qu’à nos préjugés, qui nous font prendre pour des biens ou pour des maux ce qui n’en est pas. La différence des préjugés fait la diversité des passions. Quelles qu’elles soient, ne les laissons point vieillir : car il en est des maladies de l’âme comme de celles du corps : une tumeur qui vient seulement de se former à l’œil est bien plus tôt guérie qu’une fluxion invétérée.

XXXVIII. Puisqu’il est donc bien prouvé que nos passions viennent toutes de nos préjugés, et n’ont d’empire sur nous qu’autant que nous le voulons, il est temps de finir cette dispute. Après avoir vu, aussi évidemment que l’homme est capable de le voir, en quoi consistent les vrais biens et les vrais maux, nous ne pouvions rien examiner de plus important, ni de plus utile, que ce qui nous a occupés depuis quatre jours. J’ai commencé par montrer qu’il fallait mépriser la mort et souffrir patiemment la douleur. J’ai cherché ensuite à vous armer contre le chagrin, qui est de tous nos maux le plus affreux. Car, quoique toute passion soit redoutable, et ne s’éloigne pas fort de la folie, il y a pourtant cette différence entre la crainte, la joie, la cupidité et la tristesse, que les trois premières nous troublent, et nous dérangent ; mais que la dernière nous consterne, nous tourmente, nous rend misérables. Ainsi ce n’est point par hasard, c’est avec raison, que vous attachant d’abord à la tristesse, comme au plus grand de nos maux, vous m’avez proposé d’en traiter séparément, et avant que de toucher au reste des passions. Pour les guérir toutes, de quelque nature qu’elles soient, ressouvenons-nous qu’elles sont l’ouvrage de nos préjugés, qu’elles dépendent de notre volonté, et qu’on ne les reçoit dans son cœur que parce qu’on croit bien faire. Tout notre mal vient d’un aveuglement dont la philosophie nous promet le remède souverain. Adressons-nous donc à elle, pour être instruits, et souffrons qu’elle opère notre guérison ; puisque les passions, tant qu’elles dominent en nous, non-seulement mettent obstacle à notre bonheur, mais sont de vraies maladies. Ou la raison, qui est le principe de tout bien, nous paraît inutile ; ou la philosophie étant l’assemblage de tout ce que la raison enseigne de plus parfait, nous devons attendre d’elle tous les secours dont nous avons besoin pour bien vivre, et pour être heureux.


LIVRE CINQUIÈME.
DE LA VERTU.
Qu’elle suffit pour vivre heureux.

I. Voici, mon cher Brutus, notre cinquième et dernière conférence de Tusculum. J’y ai soutenu cette proposition, Que la vertu seule suffit à