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joués ; ajoutez que, dans un corps débile, la moindre offense est pleine d’amertume. Mais la vertu et l’étude adoucissent singulièrement tou¬tes ces incommodités ; l’expérience de chaque jour nous le prouve assez, et le théâtre nous en donne un exemple frappant dans ces deux frères des Adelphes. Quelle rudesse dans l’un, quelle amabilité dans l’autre ! Ainsi va le monde ; il en est des caractères comme des vins, qui ne s’aigrissent pas tous en vieillissant. J’aime la sévérité dans la vieillesse, mais je la veux tempérée ; l’excès ne me plaît nulle part : pour l’aigreur, je ne la puis souffrir. Quant à l’avarice des vieillards, j’avoue que je ne la comprends pas. Y a-t-il rien de plus absurde que d’augmenter les provisions de route à mesure que l’on avance vers le terme du voyage ?

XIX. Reste enfin le quatrième sujet de tourments et d’angoisses pour notre âge, et le plus cruel de tous, à ce que l’on croit ; je veux dire rapproche de la mort, qui, de fait, ne peut être fort éloignée de nous. Malheureux cent fois le vieillard qui, pendant sa longue carrière, n’a pas appris à mépriser la mort ! La vérité est, ou qu’elle nous doit être indifférente, si elle éteint notre âme ; ou que nous devons la souhaiter, si elle nous conduit dans une région où notre esprit vivra éternellement. L’un ou l’autre est certain. Qu’ai-je donc à craindre, si je dois trouver après la mort le repos des souffrances ou la félicité ? Est-il un homme assez insensé, même dans la fleur de l’âge, pour se croire sûr de vivre tout un jour ? et ne voyons-nous pas la jeunesse courir bien plus souvent que nous le péril de la mort ? Elle est exposée à plus de maladies, elle les éprouve beaucoup plus violentes, elle se remet plus difficilement. Bien peu arrivent jusqu’à la vieillesse ; et si Ton comptait plus de vieillards, il y aurait dans le monde plus de sagesse et de prudence. Car c’est à notre âge qu’appartiennent la raison, la prévoyance, le bon conseil ; sans les vieillards, il n’y aurait jamais eu ni sociétés ni politique. Mais je reviens à l’imminence de la mort. Pourquoi en faire un crime à la vieillesse, quand vous voyez le jeune âge perpétuellement sous ses coups ? J’ai bien reconnu, Scipion, à la perte démon excellent fils et à celle de vos frères, destinés aux premiers honneurs de la république, que la mort ne fait point de distinction d’âge. — Mais au moins le jeune homme peut-il espérer vivre longtemps encore, tandis que cet espoir n’est plus permis au vieillard. — C’est là une espérance folle ; car il n’est rien de plus insensé que de tenir l’incertain pour le certain, et de prendre l’erreur pour la vérité. — Le vieillard n’a plus rien à espérer ! — C’est ce qui rend sa condition meilleure que celle du jeune homme, puisqu’il possède déjà ce que ce dernier espère. Le jeune homme désire vivre longtemps ; le vieillard a longtemps vécu. Mais, à tout prendre, qu’est-ce que peut être la durée de la vie humaine ? Imaginez la carrière la plus longue possible, prenez pour exemple celle du roi des Tartessiens ; car j’ai lu quelque part que l’on vit à Gadès un certain Arganthonius régner quatre-vingts ans, et en vivre cent vingt. Pour moi, je ne puis reconnaître de durée lù où je rencontre une fin. Quand le dernier moment arrive, tout ce qui a précédé s’évanouit ; il ne vous reste que les fruits de la vertu et des bonnes actions. Les heures s’en vont, et avec elles les jours, les mois, les années ; le temps écoulé ne revient pas, et l’on ne peut connaître ce que