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que toutes les actions humaines doivent avoir pour but la volupté. A cette nouvelle, rapportée par Fabricius, M*. Curius et T. Coruncanius se mirent à souhaiter que le philosophe d’Athènes pût avoir pour disciples les Samnites et Pyrrhus lui-même, car rien n’eût été plus facile que de vaincre des gens abandonnés à la volupté. Cinq ans avant le consulat de M’. Curius, P. Décius, avec qui il avait longtemps vécu et qui était alors consul pour la quatrième fois, s’était dévoué pour la république. Fabricius aussi avait connu Décius. Coruncanius l’avait connu ; et ils jugeaient tous, soit en se rappelant leur vie entière, soit en songeant à l’héroïsme de Décius, qu’il y a dans le monde quelque chose de noble et d’admirable qui est recherché pour sa propre beauté, et que tous les grands cœurs poursuivent, au mépris des jouissances du corps. Pourquoi parler si longtemps de la volupté ? Pour montrer que ce n’est pas décrier la vieillesse, mais en faire l’éloge, que de dire qu’elle a peu de goût et d’inclination pour les plaisirs. — Mais un vieillard ne peut faire honneur à une belle table, et les fréquentes libations lui sont interdites. — C’est dire qu’il ne connaît ni l’ivresse, ni les indigestions, ni les insomnies. Mais s’il est vrai qu’il faille donner quelque chose à l’agrément et qu’on ne puisse résister tout à fait aux charmes du plaisir, que Platon nomme l’appât du mal, parce que les hommes s’y laissent prendre comme les poissons à l’amorce, avouons que les vieillards, tout prives qu’ils sont des grands festins, peuvent encore trouver quelque jouissance dans leurs modestes repas. J’ai vu souvent dans mon enfance le vieux C. Duilius, celui qui vainquit le premier les Carthaginois sur mer, revenir de souper, avec un cortège de joueurs de flûte et précédé d’un grand nombre de flambeaux ; c’était une pompe inouïe pour un particulier, mais sa gloire lui donnait tous les privilèges. Je parie des autres et je n’eu ai pas besoin, je suis ici assez riche de mon fonds ; d’abord, j’ai toujours eu des compagnons de table. Cet usage s’introduisit à Rome sous ma questure, à l’époque même où l’on établit le culte de Cybèle. Je réunissais donc une compagnie à ma table, qui était toujours fort modeste, mais où le feu de la jeunesse pétillait souvent. Avec l’âge, tout se tempère. Ce qui faisait l’agrément de mes repas, ce n’était pas tant la saveur des mets que la société et la conversation de mes amis. Nos ancêtres ont fort bien nommé convives des amis qui se réunissent à une même table, car alors on se rassemble et la vie coule en commun ; je n’adresserai pas le même éloge aux Grecs, qui, au lieu de les appeler les convives, disent tantôt les buveurs, tantôt les mangeurs réunis ; parler ainsi c’est donner, en apparence du moins, la première importance à ce que l’on doit reléguer sur le dernier plan.

XIV. Le plaisir que j’éprouve à converser me fait aimer les festins qui se prolongent, non-seulement dans la société des hommes de mon âge, qui sont maintenant bien clairsemés, mais dans la compagnie des jeunes gens, et surtout avec vous ; et j’ai vraiment une grande obligation à la vieillesse, qui m’a rendu fort avide d’écouter et de parler, et très-peu de servir mon palais ou mon estomac Mais si l’on veut à toute force qu’il soit ici question des plaisirs de table, comme je ne prétends pas déclarer une guerre d’extermination à la volupté, qui a peut-être quelquefois la nature de son parti, ie dirai volontiers que je ne vois